GUSTAVE TROUVÉ (1839-1902)

Gustave Trouvé est né à La Haye-Descartes dans une famille de petite bourgeoisie, son père, Jacques Trouvé, étant marchand de bétail possédait alors une assez jolie propriété.
Après des études au collège de Chinon, il apprend la serrurerie et commence en 1855 des études à l’Ecole des arts et métiers d’Angers, qu’il ne terminera pas. Il part alors à Paris et travaille chez un horloger. Puis il créa une fabrique d’instruments scientifiques à Paris. A partir de 1865, il habite 5 rue Montesquieu et y produit son premier brevet : une pile minuscule portative permettant l’animation des bijoux et divers objets d’art. En 1866, G. Trouvé déménage au 6 rue Thérèse et il s’amusait de son nom prédestiné pour enregistrer sa marque de fabrique Eureka – «j’ai trouvé» en grec ancien,
En dehors de ses inventions, il améliora de nombreux appareils existants notamment en les miniaturisant.
Il proposa de nombreuses applications de l’électricité, dans les domaines de la propulsion (premier tricycle électri que, précurseur de la voiture électrique et premier canot électrique), des télécommunications, de la médecine (endoscopie), de la vie courante, ou des spectacles.
Il a négligé une coupure accidentelle au pouce et à l’index. Une septicémie se déclare. Il en meurt en 1902 à l’âge de 63 ans, à Paris. Sans enfant, enterré au cimetière de Descartes, après échéance de sa concession de vingt-cinq ans… ses restes sont jetés dans la fosse commune.
Reconnu comme inventeur exceptionnel par ses pairs, il fut pourtant rapidement oublié après sa mort.
Il aide, entre autres, Léon Foucault à résoudre le problème de la durée de rotation de son gyroscope en y installant un système électro-moteur. C’est Henri Tresca, sous-directeur au Conservatoire des arts et métiers, qui a suggéré à Foucault de rencontrer Gustave Trouvé, de vingt ans son cadet.


G. Trouvé

Il fut précisé dans un journal anglais du XIXe siècle citant les travaux de Gustave Trouvé que : « si l’Angleterre a Swan, l’Amérique Edison, la France a Trouvé. »


Sommaire

En préface : Extrait du livre "1891 Histoire d'un inventeur : Exposé des découvertes et des travaux de M. Gustave Trouvé dans le domaine de l'électricité", par Barral, Georges, écrivain scientifique. Journaliste et publiciste français.
Au milieu de l'énorme concours de savants que nous fréquentons, nous connaissons peu d'hommes aussi simples, aussi laborieux, aussi bons, aussi ennemis du bruit public, qu'il l'est dans tous les actes de son existence extraordinairement occupée de chercheur et d'inventeur.
Cependant, nous ne pouvons nous empêcher de consigner un souvenir qui fait autant d'honneur à notre pays qu'à l'inventeur auquel il se rapporte
, Il y a quelques années, lorsque Graham Bell, l'immortel créateur du téléphone, vint à Paris, il fut accueilli avec beaucoup d'empressement et de déférence par les Académies et le monde savant. Avant de quitter la France, il tint à rendre une visite personnelle à M. Gustave Trouvé, et il lui dit en l'abordant : « J'ai voulu vous surprendre au milieu de vos travaux que j'admire si vivement. Je veux, de plus, emporter en Amérique une collection complète de toutes vos inventions, car elles constituent pour moi l'expression la plus élevée de la perfection et de l'ingéniosité de la science électrique française. » Après ce témoignage d'un tel homme, M. Gustave Trouvé serait vraiment mal venu de nous reprocher nos éloges, car ils ne sont que l'écho fidèle du sentiment universel.
Georges BARRAL

Les inventions de M. Gustave Trouvé dans le domaine de la génération de l'électricité sont :
- Les moteurs électriques. - Le dynamomètre universel. - La Machine dynamo de démonstration. - Les piles. - Le téléphone.

D’après G. Barral qui a peut-être enjolivé la précocité de Trouvé, dès son plus jeune âge, Gustave se passionna pour les mathématiques et le
dessin. Du matin au soir, armé d’un couteau et d’un marteau il construisait des petits chariots, des automates ou des télégraphes. Son moulin à marion nettes entraîné par le vent et installé au portail de la maison, était admiré par tous les passants ; chacun reconnaissait alors les talents manuels autant que la créativité de l’enfant. À sept ans, il construisit une machine à vapeur formée d’une boîte à poudre – la chaudière – et d’épingles à cheveux – les bielles et manivelles – soudées par du plomb et de l’étain, les supports étant coupés dans du bois. Quoique rudimentaire, l’appareil était très ingénieusement conçu et une double excentricité de l’axe permettait une course suffisante des tiroirs.
Malgré la petitesse de ses organes, l’appareil fonctionnait. On a pu en réaliser un dessin, l’original ayant été conservé par Trouvé tout au long de sa vie. En 1850, il commence ses études au collège de Chinon où il a failli provoquer un incendie avec une machine à vapeur laissée sous pression dans son pupitre Gustave Trouvé suivit les cours de l’École des Arts et Métiers d’Angers dès l’âge de 15 ans. Pendant toute cette période de formation il cultiva un talent pour le dessin ce qui lui permit de représenter avec une grande aisance les mécanismes qu’il concevait. Il exécutait des dessins d’animaux tout en lignes géométriques, avec une netteté extraordinaire et une rapidité vertigineuse.
Quelques gravures réalisées et signées par Gustave Trouvé pour illustrer certains de ses articles viennent d’ailleurs confirmer ses qualités artistiques. Kevin Desmond fait l’hypothèse que les illustrations signées auraient certainement été réalisées par Trouvé, jouant ainsi avec les mots.
Vers 1860, à sa sortie des Arts et Métiers, il entra dans l’entreprise d’un grand horloger parisien. Il apprend aussi le métier de serrurier.

En 1863, à 24 ans, il fonda une entreprise de fabrication d’instruments de précision : G. TROUVE, 6 rue Thérèse, Paris.
Il fabriquait des instruments électriques et des instruments de mesures linéaires en buis et ivoire. Il faut signaler que Trouvé a su utiliser son nom, providentiel pour un inventeur, en signant ses instruments soit par son nom soit par eurêka en alphabet grec.

Appareil médical Trouvé. Tissu du couvercle de la mallette

À partir de 1865, Trouvé met en place un atelier dans le centre de Paris, où il brevette de nombreuses applications très diverses dans le domaine de l'électricité, inventions décrites régulièrement par les magazines de vulgarisation scientifique de l'époque telles que La Nature. Pour alimenter ses automates électriques miniatures, il invente une batterie de poche carbone-zinc qui devient rapidement très populaire. Une batterie similaire a été inventée et largement commercialisée par Georges Leclanché.

En 1867, il expose un fusil électrique à l’Exposition universelle de Paris, qui est très apprécié par l’empereur Napoléon III. En 1869, il présente un explorateur extracteur électrique de corps étrangers ayant pénétré dans les tissus organiques, qui sera très utile lors de la guerre de 1870. En 1873, il produit le polyscope qui sert à explorer le corps humain.
En 1874, il développe un dispositif de localisation et d'extraction d'objets métalliques tels que des balles logées dans les corps des blessés, prototype du détecteur de métal d'aujourd'hui.
Lors de son association avec Leblanc, il utilisa des locaux situés au 40 rue de Saintonge entre 1871 et 1872.

Par la suite, il s’établit au 14 rue Vivienne, où il occupa un ensemble logement-atelier-laboratoire-magasin jusqu’à sa mort.

Il
installe son atelier et poursuit ses inventions : un moteur électrique, un tricycle électrique qui est le premier véhicule de ce type au monde, un bateau à propulsion électrique, une machine à coudre électrique, le polyscope et le photophore qui servent d’éclairage électrique pour l’usage des médecins mais aussi pour les spectacles, une lampe de sécurité, l’auxanoscope qui est l’ancêtre des projecteurs, etc...
Il n’a malheureusement pas été possible de trouver des renseignements sur son entreprise mais elle se limitait certainement à une ou plusieurs dizaines de personnes, comme celles de nombreux constructeurs.
Les instruments étaient construits en séries limitées voire même à l’unité pour une demande particulière ; seules quelques productions se faisaient en grand nombre, comme des trousses électro-médicales pour l’armée.
L’industrialisation des fabrications électriques qui intervint vers 1880, a dû certainement concerner la fabrique de Trouvé.
En 1880, celui-ci fit partie des 21 membres de la Chambre syndicale des Industries électriques qui s’occupait du développement et des applications de l’électricité. Il œuvra également dans le comité d’organisation del’Exposition internationale d’électricité de 1881 sous le titre de constructeur électricien.
En 1881 au Palais de l’Industrie de Paris, se tient l’Exposition internationale de l’Électricité. Gustave Trouvé y présente ses nombreuses inventions et productions : canot électrique, motorisation du dirigeable de Tissandier, motorisation de la machine à coudre, huit ans avant Singer, et, sur le stand 551, toute une production d’électrologie médicale. Trouvé y reçoit la médaille d’argent du jury, et est décoré de la Légion d’Honneur.
En 1883, le photophore Hélot-Trouvé, conçu et produit en collaboration avec le Dr Hélot, est présenté à l’Académie de Médecine. L’idée de ce petit éclairage électrique porté sur le front de l’opérateur avec optique de focalisation relié à une pile Trouvé est géniale ! C’est notre lampe frontale adoptée par tout le corps médical.
Le 26 septembre 1887, au congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences, Trouvé, l'«électricien, ingénieur à Paris» présente plusieurs appareils liés à la fée électricité : des polyscopes cliniques, une lampe de sécurité, un photophore, une lampe sous-marine et un nouvel interrupteur. Mais ce qui étonne le plus les participants, c’est l’utilisation de l’auxanoscope électrique quand ils voient projetés sur un écran les portraits de Chevreuil, de Pasteur et de divers objets.

En dehors de ses propres inventions pour lesquelles il déposa 32 brevets,Trouvé s’efforça toujours de perfectionner les systèmes existants, en particulier en les miniaturisant.
Adepte de la recherche appliquée, Trouvé s’est passionné pour l’électricité. Il a su aussi explorer les domaines de la mécanique, des télécommunications, de la médecine et des arts.
Lors de ses recherches, Trouvé collabora avec des confrères ou des médecins. On peut citer le docteur Hélot pour la réalisation de la lampe fron-
tale – ou photophore –, Foucault pour le gyroscope électrique, Caillaud pour un modèle d’alimentation d’appareils d’électrothérapie, Dunand avec qui il améliora le microphone, et les frères Tissandier pour l’aérostat électrique.
Sa méthode de travail était empirique mais résolument scientifique ; Trouvé ne fut certainement pas un inventeur-bricoleur. En effet, face à un
problème technique, il recherchait de nouveaux procédés basés sur ses connaissances d’ingénieur et étudiait précisément les caractéristiques de ses instruments. Il sut justifier ses choix aussi bien par des mesures que par des calculs.
Il s’attachait résolument au côté pratique de ses inventions ou de ses améliorations : l’une de ses demandes de brevets en fait d’ailleurs mention puisqu’il y est précisé « un moteur et ses applications ».

Les instruments étaient construits en séries limitées voire même à l’unité9 pour une demande particulière ; seules quelques productions se faisaient en grand nombre, comme des trousses électro-médicales pour l’armée. L’industrialisation des fabrications électriques qui intervint vers 1880, a dû certainement concerner la fabrique de Trouvé. En 1880, celui-ci fit partie des 21 membres de la Chambre syndicale des Industries électriques qui s’occupait du développement et des applications de l’électricité. Il œuvra également dans le comité d’organisation de l’Exposition internationale d’électricité de 1881 sous le titre de constructeur électricien.
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En 1902, en travaillant sur un appareil utilisant la lumière ultraviolette pour traiter les maladies de peau, il se blesse, sa plaie s’infecte et il meurt de septicémie à l’hôpital Saint-Louis le 27 juillet. Gustave Trouvé n’ayant pas de descendants et ses archives à la mairie de La Haye-Descartes ayant brûlé en 1980, il tombe dans l’oubli. Même ses restes seront jetés dans la fosse commune lorsque la concession de sa tombe sera arrivée à échéance.

Ses archives ont été détruites en février 1980 à la suite de l'incendie accidentel de la mairie.
En 2012, à la suite d’une biographie de l'historien des transports anglais Kevin Desmond, une plaque commémorative est dévoilée sur le site de sa ville natale. Le 15 octobre 2016, une deuxième plaque est dévoilée sur le mur extérieur de son ancien atelier, 14 rue Vivienne, dans le 2e arrondissement de Paris par Kevin Desmond et Jacques Boutault, maire de l'arrondissement.

Une exposition célébrant le 180e anniversaire de sa naissance, intitulée « Gustave Trouvé, le De Vinci du XIXe siècle », a eu lieu à son lieu de naissance à La Haye-Descartes, en France, au mois de mai 2019.
Seize de ses instruments originaux ont été rassemblés, des voitures électriques, des bateaux, des drones et des vélos modernes ont été rassemblés en son honneur.

Sommaire

L’ÉLECTRICITÉ, LE DOMAINE DE PRÉDILECTION DE TROUVÉ (1891 Extraits du livre "Histoire d'un inventeur" G.Barral)

Trouvé s’intéressa au domaine naissant des télécommunications. Il mit au point un télégraphe couplé à une montre-télégraphe avec manipulateur et
récepteur. Cela permettait de coder des lettres ou des mots conventionnels et rendait la transmission d’ordres militaires plus rapide. De plus, cet appareil était complété par un système de dérouleur de câble.

L'électricité touche à tout. C'est le type de la science universelle. Elle devait donc s'adresser aux applications de la guerre que l'homme de tous les temps, par une aberration singulière, a cherché à porter au plus haut degré de perfectionnement.
La télégraphie devait donc naturellement contribuer à servir ce goût inné pour se détruire le plus rapidement possible, dont l'humanité est douée, La seule chose qui, aux yeux du moraliste, diminue la hideur guerrière, c'est le sentiment de la patrie qui est sacré. Dans ce sens, tout ce qu'on fait pour améliorer les engins militaires est pardonné par la philosophie et compris par le savant qui cherche avant tout les inventions utiles à l'amélioration physique et intellectuelle de ses semblables,
C'est inspiré par ces idées très légitimes que M. Gustave Trouvé a porté ses dons créateurs sur la télégraphie militaire,

Le système qu'il a imaginé mérite d'attirer l'attention pour deux raisons. D'une part, en effet, il réalise un ensemble complet se suffisant à lui-même et pouvant servir dans un très grand nombre de cas ; d'autre part, il a été adopté par plus d'une armée européenne, c'est-à-dire que ce n'est pas une chose récente, recommandée par sa nouveauté, mais une combinaison qui a été appréciée par les hommes les plus compétents dans le métier. L'ensemble se compose d'un câble à deux fils destiné à réunir deux stations, et, pour chaque station, d'une pile et d'un appareil de correspondance, Le dessin représente la ligne et les deux stations, ou, pour parler un langage moins technique, les deux correspondants, L'officier qu'on voit à droite a choisi son point d'observation, Il porte en bandoulière une pile et un appareil télégraphique, gros comme une montre, qu'il peut mettre dans sa poche ou qu'il peut accrocher au col de son vêtement dans les intervalles de la correspondance,
1876
Le soldat qui s'éloigne à gauche porte sur le dos un crochet sac-bobine à la manière du sac ordinaire.
Sur ce crochet on voit d'abord à la partie supérieure une grosse bobine sur laquelle est enroulé le câble et ensuite à la partie inférieure, la pile. Il a en outre le petit appareil télégraphique, qui est, au moment, considéré suspendu en haut et à gauche du crochet. A mesure que le soldat marche en avant, le câble se déroule derrière lui sur le sol et la bobine tourne sur son axe. L'instant venu de correspondre il décrochera le petit appareil télégraphique et le prenant à la main commencera l'envoi ou la réception des dépêches qui se présenteront.
Cette correspondance pourra avoir lieu sans même qu'il arrête sa marche et sans que tout le câble soit déroulé. Il faut noter qu'il y a 1 kilomètre de ce câble sur la bobine. On sera donc obligé de s'arrêter après avoir parcouru 1000 mètres. Mais, on pourra aussi bien correspondre à une distance moindre, 500 mètres par exemple parce que la communication a toujours lieu au travers du câble entier, qu'il soit enroulé sur la bobine ou déroulé sur le sol. Du reste le télégraphiste est accompagné par des aides portant chacun 1 kilomètre de câble pour allonger la ligne au fur et à mesure des besoins. Le câble est à deux conducteurs isolés,Chacun d'eux est recouvert de gutta-percha, et tous deux ensemble sont réunis sous une enveloppe de ruban caoutchouté. Avec cette protection le câble peut être étendu sur un sol sec ou humide, sans aucun danger de détérioration. Il peut même être exposé à la pluie ou traverser un ruisseau sans que la communication en soit aucune ment troublée.
Nous ferons remarquer ici par parenthèse, que, vu le peu de résistance électrique de la ligne une petite perte serait de peu de conséquence. Les deux conducteurs sont attachés à la pile de l'officier stationnaire avant la séparation des deux télégraphistes; des boutons spéciaux désignés par des lettres ne laissent place à aucune erreur. Avant de se quitter, ils vérifieront leurs appareils en transmettant dans les deux sens, une courte phrase.
Après avoir repris sa position le télégraphiste mobile en avisera son correspondant par l'envoi du mot d'ordre, et l'échange des dépêches pourra commencer. Le soldat porteur du crochet recherchera de préférence les sentiers inaccessibles aux voitures. S'il a une route à traverser, il choisira un endroit où des arbres puissent lui permettre de monter le fil à une hauteur suffisante pour laisser passer par dessous les voitures et les canons, car on comprend, du reste que si ce fil était étendu au travers du chemin il courrait chance d'être écrasé et coupé par les roues. A vrai dire pour ce cas et d'autres analogues, il faudra adjoindre au télégraphiste un compagnon chargé d'enlever le câble sur les branches des arbres et de divers soins du même genre. D'ailleurs, quand le moment de cesser la communication est venu le télégraphiste reçoit l'ordre de revenir à son point de départ, et, là encore, un compagnon lui est nécessaire pour enrouler le câble sur la bobine, L'aide se sert alors d'une manivelle qui s'emmanche sur le bout de droite de l'axe de la bobine ( fig,221 ). Il la tourne et enroule le câble pendant que le porteur marche au petit pas pour faciliter l'opération.
fig 221


Nous avons montré ici deux télégraphistes, l'un stationnaire, l'autre mobile, séparés par une distance maximum de 1000 metres; mais le second peut être accompagné d'un troisième porteur d'un crochet et d'une bobine identiques. Quand l'un des porteurs aura épuisé son câble le second commencera à dérouler le sien non sans avoir établi la liaison entre les deux câbles au moyen des petits mousquetons très ingénieusement combinés par M. Gustave Trouvé. Il sera donc possible d'établir la correspondance entre deux points distants de deux ou un plus grand nombre de kilomètres. De plus les deux postes peuvent être mobiles. Pour faire bien saisir toute l'utilité de cet ensemble si simple il faut insister sur ce point que dans un cas de grande urgence une ligne de un kilomètre peut être établie, sur un terrain découvert en dix minutes c'est-à-dire dans le temps nécessaire pour parcourir à pied cette distance. On aura remarqué, dans ce qui précède, que nous avons parlé d'un câble à deux fils tandis que le télégraphe ordinaire n'emploie qu'un seul fil et se sert de la terre pour suppléer au fil de retour.
En y réfléchissant, on verra que cette télégraphie volante ne peut pas fonctionner dans les conditions ordinaires ; l'établissement d'une bonne perte à la terre est en effet indispensable à chaque station; or les télégraphistes militaires ne peuvent pas toujours choisir un terrain convenable à cette communication avec la terre qui, d'ailleurs, ne peut que bien rarement être établie d'une manière instantanée. Dans les plaines de sable brûlées par le soleil, en Algérie par exemple, on n'arriverait pas à établir un fil de terre ; dans une plaine gelée à plusieurs pieds d'épaisseur, comme ont été nos campagnes pendant une notable partie du temps qu'a duré la dernière guerre on n'y arriverait pas davantage. Ces raisons ont déterminé M. Gustave Trouvé à employer deux conducteurs et à s'écarter des habitudes du service télégraphique ordinaire; et nous sommes convaincus qu'il a eu raison, sans vouloir dire toutefois que la télégraphie militaire doive dans tous les cas procéder ainsi. Si l'on avait à employer ce système de télégraphie militaire à de grandes distances, il serait à propos de faire usage des deux conducteurs comme d'un seul ce qui réduirait de moitié la résis tance de la ligne, et d'employer la terre pour le retour.
Nous nous sommes étendus assez longuement sur la ligne télégraphique proprement dite, qui est la partie la plus essentielle d'un télégraphe électrique; les appareils de correspondance n'en sont réellement que l'accessoire; ils peuvent d'ailleurs être combinés de bien des façons, et M.
Trouvé en a proposé deux concuremment : l'un est un télégraphe à cadran très analogue au télégraphe Breguet ; l'autre est un appareil du système Morse à lecture au son ce que nous appelons en langage technique un parleur.

L'appareil de correspondance désigné sous le nom de parleur de M. Gustave Trouvé est représenté en demi-grandeur naturelle par la figure 222.
fig 222
Il a la dimension d'une grosse montre et peut être porté dans un gousset, La boite est en métal ; on la fait habituellement en laiton nickelé à la pile.
On a figuré l'instrument en demi-grandeur naturelle avec l'un des fonds enlevé pour montrer le mécanisme qui est d'ailleurs très simple. Un électro aimant en est le principal organe ; son armature placée au dessous a un mouvement peu étendu autour d'un axe placé à côté du spectateur ; cette armature vient par un petit appendice frapper un bouton monté sur le fond de la boîte qui est en arrière. Ces petits coups font un bruit suffisant avec une pile convenable pour permettre facilement la lecture sans même qu'il soit nécessaire de mettre l'appareil près de l'oreille ; on comprend que la boîte du parleur sert de caisse de résonnance et contribue notablement à la netteté de la perception.
Le manipulateur, ou clef Morse, est placé à l'extérieur de la boite ; c'est un petit levier qui pivote autour d'un axe et dont l'extrémité est relevée ; la manipulation peut se faire avec le bout de l'index de la main droite la boite étant tenue dans la main gauche,


Le cadran de M. Trouvé pour son télégraphe système Bréguet est représenté au recto par la figure 223.
fig 224
Le verso représenté par la figure 224, est muni centralement des lettres de l'alphabet,

Des blancs sont ménagés suivant les rayons pour permettre aux télégraphistes d'y inscrire des mots appropriés et en rapport avec leur situation ou le genre d'exercices, Cette disposition évite les longues épellations des mots.
Fig 225 (
La figure 225 montre tout préparé par exemple le cadran des avant-postes. Il indique de quelle arme on est en présence ; si l'ennemi est en repos ou en marche, s'il s'approche ou s'éloigne, s'il est en nombre, si l'on a affaire à des éclaireurs, etc. Les ordres usuels y sont inscrits : En avant, en retraite, attaquez, laissez passer, Enfin demandes de renfort, de vivres, de munitions, etc. Des lettres sont encore réservées au centre du cadran pour communiquer un mot ou un ordre qui n'aurait pas été prévu. Que l'on veuille maintenant correspondre promptement après avoir échangé le mot d'ordre et le mot de ralliement et indiqué le numéro du cadran dont il faut se servir, le poste attaquant ou expéditeur n'a plus qu'à placer l'aiguille de sa montre télégraphique sur chaque mot qu'il veut transmettre et aussitôt le poste attaqué ou récepteur lit ce mot indiqué par son aiguille, Comme cette transmission se fait pour ainsi dire aussi vite qu'avec la parole il est facile au poste récepteur de retélégraphier sa dépêche comme moyen de contrôle. Comme les cadrans sont en papier, légers et peu volumineux, on peut en avoir un certain nombre préparés d'avance ou disposé spécialement pour la circonstance avant la séparation des deux postes. D'ailleurs par des signes conventionnels on passe des lettres aux mots, ou des mots aux lettres, ainsi que d'un cadran à l'autre, ou simplement du recto au verso, pour pouvoir, au besoin, expédier une dépêche chiffrée.
On conçoit l'avantage exceptionnel, avant l'invention des téléphones, de ce télégraphe militaire; car il permettait de transmettre une dépêche silencieusement aussi vite que la parole et cela sans aucun apprentissage du télégraphiste.
Précédemment, M. Trouvé avait réalisé une autre disposition encore plus compacte ; la manipulation se faisait par un bouton placé dans l'anneau de la bélière, comme est le bouton de remontoir dans les montres qui se remontent sans clef. Il n'est pas impossible qu'on revienne à cette forme qui offre moins de prise aux accidents. Trois fils conducteurs isolés sont attachés à l'appareil et servent à le relier à la pile et au câble de ligne.
Ces conducteurs sont formés chacun de plusieurs fils de cuivre très fins, tressés, ce qui donne une souplesse extrême à l'ensemble. Ils sont recouverts chacun de soie, d'une couleur spéciale ; d'ailleurs, le petit crochet qui les termine est numéroté, et ces numéros correspondent à ceux des boutons de la caisse à pile auxquels ils doivent être attachés, de telle sorte que, malgré la hâte fiévreuse avec laquelle toutes ces liaisons peuvent être faites quelquefois, il ne parait pas possible de commettre d'erreur.
Il nous reste à parler de la pile elle -même, qui n'est pas la partie la moins heureuse de l'ensemble, et qui présente des avantages tout à fait incontestables pour la télégraphie militaire. Nous le ferons rapidement, car le lecteur y trouvera la description détaillée et complète, avec dessins à l'appui, au chapitre consacré aux sources d'électricité. D'ailleurs, dès à présent, on a vu le caractère spécial du télégraphe de M. Gustave Trouvé, qui est la réunion sur le dos d'un homme de toutes ses parties (câbles, pile, manipulateur, récepteur, avertisseur ). Tout cet ensemble est comparable à un sac de soldat et il est d'un moindre poids.
fig 226
Quant à la pile de M.Gustave Trouvé (fig. 226), ce qui fait son inappréciable avantage dans le cas présent, c'est qu'elle fonctionne sans liquide, ou du moins sans liquide libre pouvant se renverser ou fuir des vases qui le contiennent. D'une façon succincte, disons, en passant, que chaque élément est composé d'un disque rond de zinc et d'un disque de cuivre placés parallèlement l'un à l'autre et ils sont séparés par des disques de papier d'un diamètre moindre. Cette masse de papier peut absorber beaucoup d'eau et rester humide pendant un temps très long, surtout dans les conditions les plus pratiques, La moitié inférieure des disques de papier est imbibée d'une solution saturée de sulfate de cuivre, l'autre moitié d'une solution de sulfate de zinc, Le lecteur constate qu'on possède ainsi tous les éléments d'une pile Daniell ordinaire, dans laquelle les deux liquides restent séparés beaucoup mieux qu'ils ne le sont par les vases poreux. Avec cette disposition, l'usure du sulfate de cuivre ne produit guère que par suite du passage du courant ; en d'autres termes, dans cette combinaison ingénieuse, il n'y a presque pas de travail intérieur de la pile perdu ; or, on sait que c'est cette usure constante qui est un des graves dé fauts de la pile si remarquable de Daniell. Le disque de cuivre est maintenu, au centre, par une tige isolée des rondelles de papier et du zinc ; elle dépasse la table d'ardoise qui surmonte l'élément et qui sert de couvercle au vase de verre ou d'ébonite dans lequel on place l'élément à l'abri des courants d'air et de la poussière. Le bord de ce vase a été rodé et l'ardoise bien dressée, de telle sorte que l'élément se trouve dans une capacité hermétiquement fermée et, par conséquent, préservé de l'évaporation. Ainsi composé, l'élément peut fonctionner pendant plus d'une année, sans qu'on ait à s'en occuper en aucune façon. Tel est l'élément humide, du nom que lui a donné l'inventeur ; et, pour le dire en courant, cette dénomination a l'avantage d'être rigoureusement exacte, tandis que le nom de pile sèche, qui a cours dans l'enseignement classique, est inexact, appliqué aux piles de Zamboni, qui n'agissent réellement que grâce à l'humidité qu'elles absorbent.
L'élément humide de M. Gustave Trouvé a la même force électromotrice que l'élément Daniell, dont il ne diffère que par la forme. Sa résistance varie avec le diamètre des rondelles de cuivre et de zinc et avec l'épaisseur de la pile de papier intermédiaire,
Pour un diamètre donné des rondelles métalliques, on ne pourrait pas diminuer par trop la quantité de papier sans faire perdre à la pile les quantités de durée qui font l'un de ses principaux mérites ; par contre, à mesure qu'on augmente l'épaisseur du papier, on augmente la durée possible du service actif et en même temps la résistance.
La première application que M. Gustave Trouvé ait faite de la pile a été à la thérapeutique. Il réunit un grand nombre d'éléments de petite dimension dans une même boite (les plus petites ont des rondelles métalliques du diamètre d'un sou français ), et constitue un appareil excellent pour l'application du courant continu ; excellent parce qu'il a une tension assez grande et point de quantité, de telle sorte qu'il ne produit pas de décomposition des tissus aux points d'application des électrodes. L'application à la télégraphie militaire était donc toute indiquée ; nous avons fait connaitre le télégraphe portatif dont fait partie une pile du système que nous venons de décrire.
FIG 227 Pile militaire de M. Gustave Trouvé.
Cette pile ( fig 227 ) est composée de trois boites superposées, dont chacune contient trois éléments ; ces boites sont faites en caoutchouc durci ; le couvercle auquel sont attachés les trois éléments est en ardoise, Avec ces neuf éléments on peut faire fonctionner le parleur à plusieurs kilomètres de distance. La pile, on le comprend facilement, peut être portée sans précaution, inclinée sur le côté, ou même mise à l'envers dans les voitures de transport, sans aucun inconvénient. On pourra appliquer également cette pile humide à tous les appareils d'avertissement ou autres fonctionnant dans des trains de chemin de fer ou dans des voitures.
Nous croyons que pour la télégraphie générale, la pile de M. Gustave Trouvé est destinée à rendre de grands services. On l'emploiera de préférence sur les circuits d'une certaine résistance, auxquels elle est plus particulièrement adaptée par suite de sa résistance intérieure assez considérable. En effet, elle présente les avantages connus de la pile Daniell, dépolarisation complète de l'électrode, et, par suite, grande constance. On peut même dire que, sous cette forme, la pile Daniell prend une constance inaccoutumée ; nous nous expliquons : avec la forme ordinaire, on remarque que la force électromotrice est absolument invariable, tandis que la résistance intérieure varie d'une manière continuelle, surtout quand le courant est interrompu et rétabli; chaque fois qu'on mesure à nouveau la résistance intérieure d'une pile Daniell, on trouve une valeur différente, et cependant ces valeurs variables conduisent à une valeur unique de la force électromotrice ; cela s'explique sans doute par les variations con tinuelles de la composition du liquide.
Les appareils télégraphiques de M. Gustave Trouvé ont eu une consécration officielle dans un ouvrage (1872), sur la matière, de M. Aurèle Guérin, ancien élève de l'Ecole polytechnique et de l'Ecole d'application de Fontainebleau, aujourd'hui chef de bataillon d'artillerie à l'Etat-Major de la place de Paris.

Après avoir passé en revue et examiné les divers systèmes employés par les gouvernements, l'auteur n'hésite pas à manifester hautement sa préférence en faveur des inventions de MM, Morse et Gustave Trouvé.
« Les deux appareils Morse et Trouvé ont chacun leurs avantages, dit -il. Ils se complètent l'un l'autre. Le premier, employé à la correspondance internationale, donnerait, avec un matériel moins encombrant, une solution excellente de la télégraphie de réserve ; le second, même avec les câbles défectueux que nous possédons, apporte une solution de la télégraphie militaire aux avant -postes et pendant le combat. C'est un appareil léger et transportable comme les parleurs, et en même temps un télégraphe. Il peut remplacer les télégraphes Bréguet sur les chemins de fer; on peut l'utiliser partout. La télégraphie militaire continuera à se servir de l'appareil imprimeur Morse, mais elle placera le télégraphe Trouvé au premier rang parmi ceux qu'elle doit employer
Non seulement l'appareil Trouvé, préféré par cet officier distingué à tous les autres appareils, leur est supérieur sur les champs de bataille par la rapidité de la transmission et la légèreté de son transport, mais encore il a cette propriété de convenir aux chemins de fer, au service intérieur des grands établisse ments,
« Tous les jours, ajoute M. le chef de bataillon Aurèle Guérin, presque sur chaque ligne de chemin de fer arrive, sinon un déraillement, du moins un accident qui oblige un train à rester sur une voie sans pouvoir avancer ni reculer, La voie étant embarrassée, le service devrait être immédiatement interrompu, et aucun train ne devrait dépasser les deux stations de part et d'autre les plus rapprochées du lieu de l'accident. L'organisation actuelle du service sur les trains de chemin de fer ne le permet pas, En effet, lorsqu'un cas semblable arrive, une personne se rend à pied, en suivant la voie, jusqu'à la station la plus voisine, en prévient le chef, qui, à son tour, télégraphie la nouvelle à l'autre station et demande du secours, Or, bon nombre de stations sont distantes l'une de l'autre d'au moins 10 kilomètres, et si l'on suppose le train arrêté à mi-chemin, une heure environ se passera avant que les chefs de stations, les inspecteurs et les commissaires de sur veillance en soient avertis, et pendant ce temps les trains qui suivent n'auront pas été arrêtés et pourront amener, par leur rencontre avec le premier, des catastrophes terribles. « Supposons maintenant que le chef du train en détresse ait avec lui un petit télégraphe portatif lui permettant, à un endroit quelconque de la voie, d'envoyer et de recevoir des dépêches; au moment où le train s'arrêtera, obligé de rester en place, il notifiera aux stations voisines le cas où il se trouve et la nature du secours qu'on doit lui envoyer. On saura donc tout de suite si les deux voies sont obstruées ou laquelle est libre, et on prendra les mesures en conséquence. Outre l'avantage immense d'éviter l'arrivée d'un train sur celui qui est arrêté, on aura encore celui de gagner un temps précieux, de dégager beaucoup plus rapide ment la voie qui n'est pas libre et d'éviter ces longs retards si préjudiciables aux voyageurs et aux compagnies elles-mêmes.«
La montre télégraphique destinée au service intérieur des grands établissements industriels, manufacturiers ou administratifs, par M. Gustave Trouvé, est des plus ingénieuses. On sait que dans de colossales usines existant en Amérique et en Angleterre, et dans quelques unes de celles plus réduites de France, d'Allemagne et de Belgique, de petites lignes télégraphiques relient le bureau du directeur à ceux des contrôleurs et des chefs d'atelier. Le but principal est de régulariser tout le service intérieur. On conçoit, en effet, que dans une manufacture où sont souvent réunis plusieurs milliers d'ouvriers, où se trouvent des hauts fourneaux, des charbonnières, des forges, des fonderies, etc., le directeur a intérêt à savoir immédiatement tout ce qui s'y passe. Son bureau est souvent éloigné de quelques centaines de mètres de celui de certains employés, et s'il veut demander à l'un d'eux un renseignement quelconque, ou lui donner des instructions spéciales sans le secours du télégraphe, il devra lui envoyer un domestique et attendre une demi-heure, souvent davantage, sa réponse écrite et signée, ou bien il le fera venir à son bureau et le distraira ainsi de la surveillance de l'atelier qu'il dirige. Il arrivera alors que les ateliers se trouveront pendant un temps plus ou moins considérable, suivant leur distance au bureau central, sans direction aucune ; la besogne sera moins bien faite, et si, par hasard, un accident, une chose imprévue survient, ni l'employé, ni le directeur n'en seront prévenus sur l'heure et ne pourront prendre immédiatement les mesures commandées par la circonstance. Si, au contraire, chaque atelier est relié télégraphiquement avec le bureau central, le directeur peut exercer de son cabinet une surveillance complète sur les diverses parties de son établissement, donner ses instructions, demander les renseignements dont il a besoin, sans enlever un seul instant un employé à son travail, C'est un avantage de premier ordre qu'ont parfaite ment compris tous les industriels qui ont organisé dans leurs usines un service télégraphique régulier.
Le télégraphe employé le plus généralement est le télégraphe å cadran, Tous ceux qu'on a construits jusqu'ici exigent par leurs dimensions une installation particulière dans chaque atelier. Le télégraphe construit par M. Gustave Trouvé remplacerait très avantageusement ces appareils, parce qu'il a un très petit volume, ne nécessite aucuns frais spéciaux pour son établissement et coûte beaucoup moins cher. On pourra lui conserver le cadran des mots, les noms des contrôleurs et des chefs d'atelier étant les mots correspondant aux lettres de l'alphabet; et, si l'on avait soin de disposer les lignes télégraphiques dans l'intérieur des bâtiments, le long des murs, à hauteur d'homme à peu près, les employés pourraient circuler dans leurs ateliers, portant sur eux la montre télégraphique et un élément Trouvé, et quand une sonnerie les avertirait qu'une dépêche est destinée à l'un d'eux, ils établiraient de suite, sans avoir besoin de courir à leur bureau, la communication de la montre avec la ligne, et sauraient, au premier signe, si la dépêche leur est destinée ou non, Dans le premier cas, ils la recevraient et rendraient réponse immédiatement; dans l'autre, ils supprimeraient la communication de la montre avec la ligne et iraient terminer leurs instructions à l'ouvrier qu'ils viendraient de quitter. Tout cela demanderait au plus deux minutes.
La montre télégraphique réalise donc une économie notable pour le directeur de l'usine, et une grande diminution de perte de temps pour les employés, Ces avantages sont très sérieux, et comme ils se rapportent non seulement aux grands établissements industriels, mais encore à tous ceux dont les divers corps de bâtiment sont très éloignés les uns des autres et en particulier aux grands établissements militaires, nous avons cru devoir appeler sur eux l'attention,

A l'époque de la publication de l'ouvrage de M. Aurèle Guérin, le téléphone n'était pas encore inventé et le cadran de M. Gustave Trouvé présentait un intérêt capital, un peu amoindri aujourd'hui, Actuellement, quand il y a avantage, M. Gustave Trouvé remplace son cadran par un petit téléphone avertisseur, dont nous allons bientôt parler.
Pour donner une idée plus précise de son importance à l'époque de sa découverte, citons cette page historique de notre histoire néfaste.
C'était en novembre 1870, les obus prussiens pleuvaient sur Paris et le blocus affamait la grande ville, M. Gustave Trouvé, par une froide soirée, présage du rigoureux hiver qui allait commencer, donnait une conférence, avec l'aide du Dr Mallez, dans l'ancien théâtre de l'Athénée, situé rue Auber, près de l'Opéra non terminé alors et qui servait d'ambulance, de magasin à poudre et d'ateliers de réparations d'armes tout à la fois ! A cette époque c'était un volcan mais nous n'y dansions pas, Il démontrait à ses auditeurs, enfiévrés par la disette, mais non abattus, son explorateur-extracteur des projectiles, son oiseau mécanique, et le nouveau télégraphe militaire qu'il venait de créer. A sa parole vibrante et chaude, l'espoir renaissait au coeur des courageux citoyens et l'enthousiasme réchauffait leur âme attristée,
« Que l'un quelconque d'entre vous, Messieurs, disait notre conférencier, veuille bien expérimenter mon télégraphe. Pourvu qu'il sache lire il pourra, tout aussi bien que moi, recevoir et transmettre une dépêche. De l'assemblée surgit un brave Auvergnat : « Tenez, me voilà, clama-t-il avec énergie, je suis votre homme! » Et aux bravos frénétiques de la salle, il s'équipait du sac bobine, de la montre télégraphique et gagnait le seuil de la porte. Quelques hommes de bonne volonté s'offrirent successivement pour le transmetteur, et, en même temps qu'ils plaçaient l'aiguille sur les mots du cadran mobile, la voix de stentor de l'enfant de l'Auvergne répétait : Arlillerie ! Cavalerie ! Infanterie ! Ennemi!, avec l'accent spécial à sa province. On riait, mais l'admiration, l'enthousiasme n'en étaient pas diminués, M. Gustave Trouvé fut enlevé de terre en un instant et porté en triomphe sur les épaules ! Immédiatement on voulut, d'un élan unanime, le conduire chez le général Ducrot, membre de la Défense nationale et commandant en chef des troupes investies, Il était dix heures du soir et, à moins de force majeure, c'est une heure peu propice aux présentations et aux expériences ! M. Déhérain, alors professeur au Collège Chaptal, aujourd'hui membre de l'Institut et l'un de nos agronomes les plus écoutés, se présenta heureusement et prit le ferme engagement, devant la réunion, de conduire M. Trouvé, dès le lendemain matin, chez le général Frébault, attaché à la Place, et, de là, près le général Ducrot, Ce qui fut dit fut fait, et M. G. Trouvé était présenté, à l'heure dite, par M. Déhérain, à l'excellent général Frebault et au commandant en chef qu'ils allèrent rejoindre à la Porte -Maillot. De nouvelles expériences furent faites, avec des soldats inexpérimentés, et, séance tenante, M. Gustave Trouvé reçut l'ordre de construire immédiatement cent vingt postes télégraphiques,
Malheureusement la matière première faisait défaut et, malgré l'activité de notre inventeur qui courut aux remparts chercher des bras, vingt - cinq postes seulement furent livrés à M. de la Barre Duparcq, délégué par le Gouvernement militaire pour les recevoir. Hélas ! les jours passaient et la capitulation était imminente ...

Sommaire

Les Téléphones et Microphones de M. Gustave Trouvé .

Le téléphone et le microphone constituent deux applications vraiment extraordinaires et tout à fait inattendues de l'électricité. La loi physique universelle de la conservation de l'énergie se manifeste d'une manière extrêmement remarquable sur le terrain de la téléphonie et de la microphonie .
Il est prouvé aujourd'hui qu'il y a un enchaînement caché entre les ondulations sonores, les vibrations moléculaires et les courants électriques et qu'on peut tirer un parti extrêmement utile et puissant de cette consta tation de la science moderne .
L'esprit si chercheur et si inventif de M. Gustave Trouvé devait être attiré aussi vers les problèmes encore nouveaux et il devait y laisser les marques de son ingéniosité sans cesse en éveil .
La téléphonie est l'art de transmettre au loin la parole, comme l'indique son étymologie grecque, loin, et parole . D'abord subordonnée à la télégraphie électrique, elle tend de plus en plus à prendre une place prépondérante. Aucune découverte n'a eu une fortune aussi rapide et aussi brillante. Lorsque parvint en Europe le récit de l'expérience fondamentale du 2 juin 1875, il y eut tout d'abord un mouvement d'incrédulité . Mais il fallut bientôt se rendre à l'évidence. Graham Bell avait bien, en effet, créé une petite machine magnéto-électrique réversible, d'une si grande sensibilité qu'elle était impressionnable par le simple souffle de la voix. Cela fut un enthousiasme général et cela devint un engouement sans précédent. L'appareil de Graham Bell fut rapidement perfectionné par les savants des deux mondes, et il entra sans désemparer dans le domaine de la pratique courante, sans avoir à compter avec les périodes d'incubation ou de tâtonnements pénibles et coûteux, auxquelles bien peu d'inventions, grandes ou petites, parviennent à échapper.
Dès l'année 1881, le téléphone fonctionnait dans plusieurs villes d'Amérique et d'Europe; aujourd'hui on en fait usage dans toutes les parties du monde . Ses admirateurs de la première heure, tous ceux qui ont eu foi en son avenir, dès son apparition, n'auraient pas osé lui prédire un semblable succès .Des plus optimistes le voyaient se substituer peu à peu au télégraphe. Mais on ne songeait pas qu'il ferait mieux et autre chose.
On ne supposait pas qu'il serait capable d'établir une communication permanente, non pas seulement entre des bureaux publics, mais encore entre toutes les demeures particulières. On est obligé d'aller chercher le télégraphe; on a le téléphone sous la main . Pour se servir du télégraphe, il faut recourir à l'assistance d'un tiers ; le téléphone, lui, supprime tout intermédiaire . Telles sont les causes premières de sa prodigieuse fortune, comme le fait très bien remarquer M.Émile Bouant, un de ses historiens.
Télégraphe et téléphone ne sont pas, au reste, des rivaux qui doivent se gêner l'un l'autre et se porter ombrage . Chacun dans sa sphère d'action doit contribuer à satisfaire et à accroître le besoin chaque jour plus impérieux de communiquer rapidement. Il en résultera nécessairement un développement parallèle de tous les procédés de correspondance. Toutefois l'instrument de Graham Bell, dans sa merveilleuse simplicité, ne se prêtait qu'à des transmissions peu lointaines, en fournissant un son faible et sourd . Mais il ne resta pas longtemps dans cet état primitif.
Rapidement amélioré, il devint, en quelques années, susceptible de satisfaire à toutes les exigences, grâce aux perfectionnements divers qu'on a fait subir à sa construction première. Pour son compte, voici ceux quc M. Gustave Trouvé a apporté à diverses reprises au téléphone primitif.
Le lundi 1er avril 1878, il présenta à l'Académie des sciences de Paris, dans les termes suivants, un téléphone à membranes multiples, représenté par la figure 228 : « J'ai l'honneur de communiquer à l'Académie des sciences les nouveaux résultats des recherches que j'ai poursuivies relativement au téléphone, par l'application de membranes multiples vibrantes tendant à renforcer l'intensité des courants transmetteurs .
FIG 228 Téléphone à membranes multiples système de M. Gustave Trouvé .

« Dans ma communication du 10 décembre 1877, j'annonçais, en effet, qu'on pouvait renforcer sensiblement l'intensité des courants produits, et, par suite, l'intensité du son lui - même ; et j'avais adopté, à cet égard, une association polyédrique de membranes vibrant à l'unisson .
Voici une nouvelle disposition qui, mettant à profit le même principe, donne des résultats supérieurs . ab est un aimant tubulaire en touré par un solenoide dans toute M n M' sa longueur. En regard de l'un de ses pôles a est une membrane circulaire M semblable à celle du téléphone ordinaire, mais percée en a son milieu d'un trou dont le diamètre est égal au diainètre intérieur du tube-aimant . A l'autre pôle b est une membrane semblable M ', mais tout à fait pleine.
On comprend aisément l'avanage de cette combinaison : si on parle en regard du pôle de l'aimant e devant lequel est la membrane percée M, les ondes sonores la mettent en vibration et, continuant leur route dans l'intérieur du tube- aimant, viennent faire vibrer la seconde membrane pleine M ' placée à l'autre pôle du tube-aimant. « Il en résulte que l'aimant, influencé à la fois par ses deux pôles, engendre dans le solénoïde des courants notablement plus intenses que s'il n'était influencé que par un seul pôle et par une seule membrane.
« Le récepteur, semblable au transmetteur que nous venons de décrire, reçoit les courants correspondants, qui mettent simultanément les deux mem branes en vibration ; l’oreille, placée en a, perçoit alors directement les sons produits par la première membrane M, et ceux de la seconde lui arrivent par l'intérieur du tube -aimant.
Cette nouvelle disposition est des plus heureuses pour comparer expérimentalement les résultats fournis par un téléphone à membrane unique (téléphone Bell ) et ceux fournis par un téléphone à membranes multiples . En effet, il suffit d'écouter alternativement aux deux faces de ce téléphone pour s'apercevoir immédiatement de la différence dans l'intensité des sons percus. Ceux recueillis en a, du côté de la membrane percée, paraissent sensiblement doubles en intensité de ceux recueillis en b, côté de la membrane pleine qui constitue un téléphone ordinaire.
« La différence est encore plus frappante si, en transmettant ou en recevant un son invariable d'intensité à travers le téléphone multiple, on empêche à plusieurs reprises la membrane pleine M ' de vibrer .
« Ceci posé, il est facile de voir qu'on augmentera encore l'intensité des courants, et, par suite, l'intensité des sons transmis, en intercalant entre les deux membranes primitives une série de membranes n, n, n, etc., parallèles et équidistantes, entourant le solénoïde et l'influencant dans toute sa longueur.
« L'Académie me permettra en même temps de lui exposer le principe d'un nouvel appareil téléphonique que je viens d'expérimenter et dont je me réserve d'ailleurs de faire l'objet d'une note spéciale .
« Voici en quoi elle consiste : Une membrane métallique vibrante constitue l'un des pôles d'une pile à haute tension ; l'autre pôle est assujetti devant la plaque par une vis micrométrique qui permet de faire varier, suivant la tension de la pile, la distance à la plaque, sans pourtant jamais étre en contact. Cette distance toutefois ne doit pas dépasser celle que pourrait franchir la tension de la pile.
« Dans ces conditions, la membrane, vibrant sous l'influence des ondes sonores, a pour effet de modifier constamment la distance entre les deux pôles, et de faire ainsi varier sans cesse l'intensité du courant ; par conséquent, l'appareil récepteur (téléphone Bell, ou à électro-aimant) subit des variations magnétiques en rapport avec les variations du courant qui l'influence, ce qui a pour effet de faire vibrer synchroniquement la membrane réceptrice.
« C'est donc sur la possibilité de faire varier entre des limites très étendues la résistance du circuit extérieur d'une pile ( batterie) à haute tension, dont les pôles ne sont pas en contact, que repose le nouvel appareil téléphonique .
« On pourra, pour varier les conditions de cette résistance, faire intervenir une vapeur quelconque, ou bien des milieux différents, tels que l'air ou les gaz plus ou moins raréfiés.»

Dans le journal "La République : journal démocratique du Midi" du 17 décembre 1877, voila comment est annoncé le télphone de M.Trouvé

LE TÉLÉPHOME
Ce nouveau télégraphe, sur lequel les journaux ont chaque jour à enregistrer de nouvelles expériences,, a été découvert par M. Grahant Bell. Cette découverte dont on devrait, suivant un journal anglais, faire remonter l'origine en 1837, a été en effet publiée par M. Poja de Salem (Etat des Massachussets) dans une encyclopédie célèbre qu'il fit paraître à cette date. Mais l'application n'en avait pas eneore été faite, et la théorie seule avait été émise. Au reste, cette question soulevée à l'académie des sciences a été résolue, et M. Bell a été reconnu comme l'innovateur du téléphone.
Dire quels seront tous les résultats d'une pareille invention, serait trop présumer ; mais on peut déjà affirmer , en présence des nombreuses expériences qui viennent d'être tentées, que "ces. résultats seront immenses. Désormais plus de piles , ces moyens de production de l'électricité, si
nuisibles aux manipulateurs par les vapeurs qu'elles émettent. Désormais plus de distances ; les nouvelles et les faits seront connus partout , pendant qu'ils se produiront. Le temps même, n'aura plus de mesure, chacun pouvant recueillir les questions qui lui seront adressées et y répondre spontanément , sans intermédiaires. Cette découverte est donc de la plus haute importance. En voici le principe :
Un courant électrique est produit par l'action d'un aimant, sur un fil qui l'envcloppe ; il est transmis par les fils télégraphiques ordinaires, et ce même courant développe,dans un appareil identique, une aimantation qui produit une vibration. Ces deux actions, basées sur les principes de l'induction, sont équivalentes quoique contraires.
Les appareils dans lesquels ces deux actions se développent, sont de petit volume et facilement portatifs. De plus, le principe est si-si simple, et demande si peu de matériaux pour sa mise en pratique, que chacun pourra se munir d'un appareil dont le prix ne dépassera guère une vingtaine de francs. C'est un véritable porte-voix en petit.
Figurez-vous un étui à aiguilles, allongé et grossi jusqu'à occuper vingt à vingt-cinq centimètres do long, sur six à huit centimètres de largo. Vissez à la place du couvcrcle, un cône de grandeur appropriée et pouvant servir d'embouchoir ou de pavillon, et vous aurez uno idée exacte da la forme de cet instrument. Enfin , qu'il nous suffise d'ajouter que lo fil enroulé autour de l'aimant ne pèse pas plus de 25 grammes.
Sur le fond de cet étui de bois, s'appuye un aimant puissant, contre lequel vient s'appliquer en avant un barreau de fer doux, non aimanté, de même diamètre, mais d'une longueur moindre ; le tout remplissant l'étui sans en dépasser l'ouverture. Ce barreau est entouré d'un fil de cuivre, très fin , enroulé suivant une hélice, et constituant un solénoïde. Les extrémités de ce fil sortent par deux trous, percés dans le bois. L'une de ces extrémités sert à relier le téléphone au fil de ligne, tandis que l'autre, comme cela se pratique dans le télégraphe ordinaire, est mise en communication avec le sol. Au devant de l'aimant, et, ne le touchant pas, se trouve un rond de tôle, très mince, dont les bords son fixés par le pavillon vissé au-dessus, et qui enferme lo système dans l'étui. C'est cette plaque de fer, flexible et isolée, qui est impressionnée par les sons.
On sait, que lorsqu'on approche un morceau de fer d'un aimant, ce fer s'aimante. Le barreau de fer doux, touchant à l'aimant, est dans ce cas. Mais si un son vient à faire vibrer la membrane de tôle, celle-ci s'approchera du fer aimanté par contact, et diminuera l'intensité du magnétisme.
Alors, par ce sêul fait que l'aimantation sera diminuée, par induction, un courant électrique sera produit dans le solénoïde qui, à son tour, transmettra le courant dans celui de l'appareil récepteur. (Ampère avait formé un aimant par la seule intervention de l'électricité, bien avant que Faraday ait obtenu de l'électricité au moyen d'un aimant.) Dès lors, le courant reçu dans le récepteur produira une aimantation plus grande dans le barreau de fer doux qui attirera la membrane, et cela avec d'autant plus d'intensité que le courant envoyé sera plus fort. Elle sera autant de fois attirée que le courant passera , c'est-à-dire que la membrane du manipulateur vibrera.
Voici donc le fait : les courants engendrés dans le circuit vont renforcer ou dirninuer l'aimantafion dans le récepteur, qui est on tout semblable au manipulateur, de telle sorte que les membranes vibrent à l'unisson.
Il n'y aura donc plus pour parler ou entendre parler, à quelque distance que ce soit, qu'à prendre lo petit instrument, et qu'à parler ou écouter contre la membrane.
Les expériences ont démontré qu'à 60 ou 100 kilomètres, tout se passait comme nous venons de le dire, mais qu'à de plus grandes distances, l'intensité du courant devenait si laible, qu'il n'y avait plus moyen de communiquer.
En pareille circonstance, que faire ?
Fallait-il abandonner un système aussi ingénieux ?
Non. Après une telle découverle, venue de l'étranger, la France ne devait pas rester en arrière.
C'est à un Français, M. Trouvé, habile constructeur de télégraphes, que l'on devra l'application de cet instrument précieux.
M. Trouvé a imaginé de parler oud'écouter , non plus devant une seule membrane, mais bien devant cinq membranes impressionnables formant les surfaces d'un cube dont un côté manquerait.
Bien plus, il a remplacé le cube par un polyèdre à nombre indéfini de surfaces, toutes formées d'une membrane vibrante, fournissant ainsi une intensité aussi grande qu'on le désire.
Derrière chacune de ces membranes est un téléphone qui envoie un courant électrique à un appareil identique, et un simpie commutateur permet de faire agir la totalité des efforts du manipulateur sur une seule membrane du récepteur, et réciproquement.
M. Trouvé a proposé de diviser les membranes en deux séries, dont les efforts seraient totalisés en deux parties différentes; c'est à-dire que les circuits des aimants seraient réunis par moitié. On pourrait ainsi établir des postes de renfort, dans lesquels l'employé transmettrait la même note reçue qui serait envoyée au poste suivant en même temps qu'elle retournerait, comme contrôle, au point de départ.
Le moyen trouvé, il n'a plus qu'à l'appliquer. On se rappelle que l'électricité est transmise par les fils télégraphiques ordinaires ; or, il arrive très souvent que ces fils sont superposés en assez grand nombre. Chacun da ces fils transmet son courant. Il pourra arriver qu'en même temps qu'un télégraphe Morse enverra une dépêche par un fil, un téléphone en enverra une autre par un autre fil placé à côté. De ces deux courants d'intensité différentes, naîtra dans le téléphone un courant induit qui impressionnera la membrane.
Le téléphone commettra donc l'indiscrétion de reproduire la dépêche passant au-dessus ou au-dessous de son fil de ligne. Mais comme il n'y a, dans l'appareil de Morse, que des courants successivement interrompus, on n'entendra qu'une suite de chocs qui couvriront la voix du téléphone, et produiront, sur l'oreille de l'auditeur, comme un bruit do grêlons tombant sur une vitre.
Tant que les deux points à relier par le téléphone seront réunis par un seul fil, l'appareil fonctionnera très-bien ; mais dès que plusieurs fils télégraphiques seront établis simultanément, il faudra, ou cesser toute autre communication, ou ne point employer le téléphone.
En attendant que cette difficulté soit résolue, nous demandons instamment que des téléphones soient établis en France partout où il sera possible de le faire, et que notre armée ne soit pas la dernière à se servir d'un instrument dont les Prussiens font déjà eux-mêmes un si grand usage.

V. T.

Peu de temps après, M. Gustave Trouvé, toujours tourmenté par l'idée de mieux faire, trouva le moyen de perfectionner un nouveau système de téléphone avertisseur dû au capitaine Perrodon (1878), en se consacrant à sa construction .
M.Cornu, membre de l'Académie des sciences, se chargea de présenter à ses confrères, en juillet 1879, ce nouvel appareil basé sur le principe suivant : Un téléphone quelconque rend un son continu, élevé et intense quand le courant d'une pile traverse sa bobine et passe entre l'armature et un contact fixe. Si d'autres téléphones sont interposés dans le même courant, ces instruments vibrent tous à l'unisson du premier avec la même intensité .Quelques jours après, M.le capitaine Perrodon écrivit dans la Revue d'artillerie : « Si le principe de mon appareil est simple, l'application était très délicate et la réussite eût été douteuse sans l'habileté du constructeur.»

La figure 229 représente ce téléphone avertisseur auquel M.Gustave Trouvé a donné la griffe d'originalité de son temperament créateur.
Ce système d'appel est extrêmement pratique, puisqu'il laisse au téléphone ces deux propriétés précieuses : son transport si facile, son emploi à la portée de tout le monde . C
ependant, quelques auteurs rejettent a priori tout système d'appel nécessitant l'emploi d'une pile . En fait, au point de vue domestique, les avertisseurs sans piles seraient à préférer, tandis que, au point de vue militaire, ils seraient un défaut.
En effet, on sait que les avertisseurs sans piles ont le grave inconvénient de ne transmettre qu'environ le 2/100 du son produit au départ et à de faibles distances . Dans l'armée, le poste ne pourrait fournir l'appel sans trahir sa présence, et se ferait entendre, par une nuit calme, de 1 à 2 kilomètres de distance . Ce bruit serait en outre très gênant, comme les sonneries, dans un établissement industriel . Un inconvénient encore aussi grave, c'est qu'il ne contrôle pas la ligne et qu'on est obligé quand même d'avoir une pile et un galvanomètre pour ce contrôle qui est tout à fait indispensable à la guerre . Si la pile a des inconvénients, ils ne doivent pas être exagérés . Si elle est embarrassante dans les transports, que dire des bobines de câble qu'il faudra emporter ? D'ailleurs la pile compense ces inconvénients par le contrôle de la ligne qu'elle fournit, le téléphone servant lui même de galvanomètre pour cette vérification . Au surplus, une pile peut deservir eux ou plusieurs postes,comme cela pourrait se faire, par exemple, sur les chemins de fer à une voie où les gardes barrières seraient munis de téléphones avertisseurs remplaçant avantageusement les cloches ordinaires et fonctionnant tous par le courant d'une pile unique et fixe installée à la station voisine.
Cette condition est réalisée par le téléphone avertisseur représenté par la figure 229. Il ne diffère des autres que par l'adjonction d'une aiguille A montée sur un axe E muni de deux cames F, G fixées à angle droit .
Ce système de commutateur a pour fonction d'intercaler l'interrupteur dans le circuit téléphonique par les ressorts G, H, lorsqu'on veut produire un appel, et l'interrupteur s'approche du centre de la membrane pour la mettre en vibration, suivant les positions de l'aiguille . L'aiguille placée sur la lettre T (téléphone ), le courant ne met pas la plaque en vibration, tandis que placée en A (avertisseur) le courant passe par le trembleur, dont la plaque téléphonique constitue l'armature . Le réglage, à la fois mobile et stable, était très difficile à obtenir . Dans les dispositifs combinés, la production de l'appel exigeait toujours de l'adresse et un certain apprentissage . Cela se conçoit, du reste, si nous disons que l'amplitude des vibrations de la plaque n'atteint guère que de 1/200 millimètre . Cette difficulté a été complètement surmontée par M. Gustave Trouvé, qui a réalisé le téléphone avertisseur en lui adaptant son interrupteur, bien connu, de ses explorateurs .

Emploi de l'appareil.
Les téléphones (supposons en deux), étant placés avec la pile dans le même circuit, le poste qui veut avertir tourne lentement son aiguille de T vers A, en arrêtant immédiatement la rotation dès que l'appareil chante. Le poste appelé, averti par le bruit de son appareil, qui chante à l'unisson du premier, fait osciller de droite à gauche son aiguille, ce qui a pour effet d'établir des intermittences dans le chant des téléphones qui était tout à l'heure régulier et monotone . A ce nouveau signal, les deux postes remettent, chacun de leur côté, l'aiguille sur la lettre T ( correspondance téléphonique ), et la conversation est échangée à la manière ordinaire . En résumé, voici les principaux avantages de ce système :
1 ° Extrême simplicité, dépense insignifiante et conservation complète de toutes les qualités du téléphone. Cet avertisseur qui peut leur être appliqué à tous, permet de les placer immédiate ment dans les meilleures conditions de réglage.
2° Avertissement très bruyant, avec deux éléments pour des résistances de 100 à 110 kilomètres, les bobines de deux téléphones entrant déjà pour 90 à 95 kilomètres dans cette résistance. La portée et le bruit croissent jusqu'à une certaine limite avec le nombre des éléments employés, ce dernier au point de devenir insupportable .
3º Contrairement aux autres systèmes d'avertisseurs, le bruit à l'arrivée est de même intensité qu'au départ. Il sert encore de moyen de contrôle, puisque le système ne peut fonctionner que si la ligne est intacte .
4° On peut placer un certain nombre d'instruments sur la même ligne, qui rendront tous simultanément, avec la plus grande fidélité, la note de celui qui commandera l'appel, malgré le plus grand désaccord possible dans la tension des membranes; mais ces tensions différentes suffiront, au besoin, pour distinguer les postes entre eux, ainsi que cela se produit, par la hauteur du son ou par la différence des timbres, avec les sonnettes d'appel .
Ces avantages le recommandaient tout particulièrement à l'armée, à laquelle il rend des services signalés .Il prend alors la place des montres télégraphiques du système de télégraphie de M.G. Trouvé, dont nous avons donné la description au chapitre télégraphe.
Il pourrait également remplacer, sur les lignes ferrées simples, les signaux à cloches qui, avec une installation plus coû touse, ne peuvent pas rendre des services aussi complets.
Lorsqu'il s'agit d'utiliser des téléphones existant déjà, dont la construction tout à fait exceptionnelle ne permet pas, ainsi que leur mauvais état de conservation, de leur appliquer avantageusement l'avertisseur du capitaine Perrodon, M. Gustave Trouvé emploie un avertisseur indépendant que nous allons décrire . Le petit trembleur libre qu'il a appliqué comme avertisseur téléphonique en l'intercalant dans le circuit de la pile et des téléphones, n'est autre que le trembleur spécial de son appareil explorateur destiné à la recherche des projectiles enfermés dans les plaies par armes à feu, appareil bien connu par les nombreux services qu'il a rendus et qu'il rend constamment à la chirurgie. Ce petit trembleur, de grandeur naturelle dans notre figure 230, est renfermé dans une boite à doubles glaces transparentes, ressemblant à une toute petile montre et sert aussi de commutateur, car l'axe entrainé par l'aiguille est muni de cames à cet effet. La position perpendiculaire de l'aiguille, par rapport à l'armature de l'électro-aimant, représentée dans le dessin, correspond à l'avertissement, c'est- à -dire que la pile, le trembleur et les téléphones se trouvent dans le même circuit. La position oblique de l'aiguille, soit à droite, soit à gauche, établit seulement la correspondance téléphonique en supprimant la pile du circuit .

La disposition élégante de ce trembleur avertisseur ne conviendrait pas aux usages domestiques et à l'armée ; aussi M. Gustave Trouvé n'a-t- il pas hésité un instant à sacrifier la grâce à la solidité et à la sûreté des effets. Il a donc renfermé son petit électro-trembleur, non plus dans une boîte de montre à doubles glaces transparentes, mais bien dans une minuscule auge rectangulaire en caoutchouc durci ou ébonite, de 3 à 4 centimètres de longueur sur 1 centimètre et demi de largeur et d'épaisseur (fig .231 ) .

Cette auge étant complètement étanche, l'électro-trembleur, en dehors des chocs violents qu'il peut supporter sans avaries, vu son faible poids, se trouve aussi préservé des autres causes per turbatrices qui pourraient l'influencer, comme, par exemple, les intempéries de l'atmosphère, la chaleur, l'humidité, la pous siere, etc. Il pourrait même être exposé à l'eau sans avoir à subir de détérioration .
L'avertissement est aussi bruyant au téléphone de départ qu'à celui de l'arrivée ou de réception, comme dans celui du capitaine Perrodon, réalisé par M.Gustave Trouvé, malgré de grandes difficultés d'exécution . Cet avertisseur indépendant a, suivant nous, une supériorité sur l'autre en ce qu'il met la pile au repos pendant la correspondance, qu'il ne nécessite absolument aucun changement aux téléphones que l'on possède déjà, et, qu'en outre, il ne demande ni le réglage de ces téléphones, ni le passage du courant dans un sens déterminé et qu'il s'adapte immédiatement à n'importe quel système de téléphone connu .
Les trois boutons (fig .231 ), ou serre- fils, sont destinés à le placer dans le circuit téléphonique, la ligne et la terre . L'aiguille B, dans la position T qu'elle occupe, se trouve sur la correspondance téléphonique, sans la pile dans le circuit; il en serait de même dans la position T ; tandis que, l'aiguille ramenée en A qui signifie avertisseur, le trembleur serait mis en action par le courant de la pile qui franchirait alors la ligne, les téléphones et ferait son retour par la terre . Tous les téléphones mis en ligne rendraient, dans ces conditions, un son rauque, plus ou moins élevé, mais correspondant exactement au nombre des vibrations de l'électro-trembleur. Le son croît aussi en intensité avec le nombre des éléments employés.

Dans la question des téléphones, M. Gustave Trouvé ne devait pas s'en tenir à ces applications élevées, mais d'un caractère spécial ; et peu de temps après nous le voyons se consacrer à la téléphonie domestique, si nous pouvons employer cette expression .
C'est donc dans cette sphère d'action que nous nous proposons maintenant d'étudier ces appareils, en les considérant comme des auxiliaires utiles et précieux des autres instruments d'électricité destinés aux usages journaliers. Nous empruntons l'explication qu'en a donnée M.Hospitalier, dans un numéro de la Nature, journal si attrayant et si répandu et toujours le premier à porter à la connaissance du public les plus récentes découvertes : Nous irons, comme toujours, du simple au composé, et nous supposerons tout d'abord que les communications se font dans l'intérieur des habitations mèmes, entre les différentes pièces d'un bureau, d'un atelier, d'une usine, ou les différents étages d'une maison .
La première question qui se pose est le choix d'un système.
Auquel donner la préférence ? A notre avis, lorsque les distances ne sont pas très grandes, au dessous de 100 mètres, par exemple, pour fixer les idées, il est préférable d'employer les téléphones magnétiques, dont l'appareil Graham Bell est le type .
On y trouve à la fois simplicité, économie de prix d'achat et d'ins tallation .
Plus loin nous étudierons les téléphones à pile, qui produisent certainement des effets plus intenses, mais coûtent plus cher et demandent plus de soin et de surveillance . Nous supposerons donc que nous ayons fixé notre choix sur un système magnétique.
On sait que la puissance des sons transmis par ce système est très faible ; il importe donc, pour établir une communication entre deux postes, d'avertir préalablement le poste récepteur ; ce qu'on fait ordinairement à l'aide d'une sonnerie d'appel . Son installation la plus simple est celle que nous connaissons pour relier une maison de campagne à la loge du gardien placée à l'entrée de la propriété . Elle est constituée par une sonnelte à tirante ordinaire, dans laquelle les équerres de renvoi sont isolées . Le fil de fer qui agit sur la sonnette sert de conducteur aux téléphones magnétiques, le retour s'effectuant par la terre . L'installation représente ainsi le maximum de simplicité et d'économie .
En général, il faut que chaque poste puisse appeler l'autre .
Une communication téléphonique complète comprendra donc finalement à chaque poste : un téléphone transmetteur pouvant servir de récepteur, ou mieux une paire de téléphones, un bouton d'appel, une sonnerie d'appel et une pile .
Tous ces appareils peuvent être groupes de différentes façons présentant chacune des avantages et des inconvénients . Le choix à faire entre ces divers groupements ou montages dépend des exigences spéciales à l'installation projetée .
Si la communication téléphonique doit être mise entre les mains de beucoup le monde c'est le cas par exemple d'une communication entre un locataire à un étage élevé et le concierge dont la loge est souvent occupée par des voisins, des parents, des amis peu expérimentés on doit rechercher avant tout la simplicité d'installation. Dans ce cas, il faut absolument supprimer tout commutateur qu'on oublie trop souvent de manoeuvrer, en mettant un nombre de fils suffisant quatre au maximum, ou trois en prenant les conduites d'eau ou de gaz comme fils de retour, ainsi que nous allons l'indiquer. Dans l'espèce, il suffit du bouton d'appel et du téléphone pour établir la communication complète sans erreur possible. L'emploi du triple fil, avec retour par les tuyaux d'eau ou de gaz, présente même un autre avantage, celui de n'exiger qu'une seule pile pour suffire aux deux postes. Il est alors commode de prendre, soit la pile établie chez le concierge pour desservir les sonneries de la maison, soit la pile établie chez le particulier pour son usage personnel . C'est le second cas que représente la figure 232.

La pile établie chez le concierge peut avoir d'ailleurs beaucoup d'autres emplois, car elle sert, au premier à actionner les sonneries et un tableau indicateur, et les sonneries ordinaires du locataire du second, qui, abonné au système téléphonique de la ville, a son téléphone installé dans l'antichainbre . Le locataire du troisième, en correspondance permanente avec le concierge, épargne bien des étages à ses visiteurs en cas d'absence, et congédie facilement les importuns, avantages qui méritent d'être pris en sérieuse considération .
En jetant un coup d'æil sur le diagramme ( fig 232 ), il est facile de suivre les communications des différents appareils entre eux : boutons, sonneries, télé phones, piles et fils de ligne . Pour éviter toute erreur, il est commode d'attacher d'abord les quatre fils à quatre bornes numérotées sur une planchette, à chaque étage, et d'établir ensuite les liaisons en partant de ces quatre bornes . La borne et le fil numéro 4 peuvent être remplacés par les conduites d'eau ou de gaz . Dans le diagramme de la figure 232 nous avons supposé les appareils disposés à la suite les uns des autres pour bien montrer les communications qu'on peut suivre facilement. En pratique, on les place où on peut, en utilisant les boutons, sonneries, téléphones dont on dispose . Lorsqu'on veut faire quelques concessions à l'élégance, il est commode de disposer tous les appareils sur une planchette, et il existe un certain nombre de postes téléphoniques dans lesquels toutes les combinaisons sont réalisées à l'avance ; il suffit d'attacher les fils de ligne de pile et des téléphones aux bornes marquées sur la planchette pour que l'installation soit terminée.

L'un des plus simples est le poste du modèle de M.Gustave Trouvé (fig.233 ) .

La planchette porte le bouton d'appel, la sonnerie et une paire de téléphones Trouvé, genre Bell, avec vis de réglage se mouvant sur un cadran gradué pour bien fixer la distance de l'aimant à la plaque.
Le système ne comporte que deux fils de ligne ; mais il demande une pile à chaque poste pour actionner les sonneries .
La commutation se fait automatiquement en décrochant les téléphones, lorsque le poste appelant entend la réponse du poste appelé .
Cette disposition est simple . Toutefois elle exige que les téléphones soient remis avec soin dans les lyres de suspension, une fois la conversation terminée, ce que les personnes négligentes, avec lesquelles mal heureusement il faut compter, ne font pas toujours. Chaque fois que la ligne n'est pas trop longue, il faut préférer le triple fil qui dispense de l'emploi de tout commutateur automatique ou non . Lorsque les distances deviennent un peu grandes, le prix d'un fil supplé mentaire joue un rôle de plus en plus important. Il y a alors lieu de se demander véritablement s'il vaut mieux satisfaire aux exigences de l'économie ou à celles de la simplicité. C'est là une question de pure appréciation.
Les conducteurs téléphoniques placés à l'intérieur des maisons peuvent être de même nature et de même gros seur que les fils des sonneries ordi naires . Il convient de les distinguer pendant la pose en les choisissant de Sonnette couleurs différentes . Lorsque les fils sont extérieurs on les prend recouverts d'une double couche de gutta - percha . Le diamètre du fil de cuivre nu est de 1 millimètre et de 3 millimètres envi ron lorsqu'il est recouvert .
La nature des téléphones joue peu de rôle lorsque les distances sont petites .
Les téléphones de Bell, à main, modèle ordinaire, conviennent parfaitement leur prix varie de 8 francs à 50 francs la paire, suivant le fini du travail et les soins apportés aux détails de la construction, Dans notre installation ( fig.232), nous employons comme transmetteur un appareil Gower, et un téléphone modèle Trouvé, comme récepeur . Le système est à trois fils, avec retour par les conduites de gaz. Les quatre téléphones - un récepteur Bell et un transmetteur Gower à chaque poste sont disposés en tension sur le circuit fermé formé par les fils 1 et 2 .
On conçoit que les montages de postes téléphoniques simples puissent varier beaucoup suivant le nombre de tils qu'on désire placer et les combinai sons à réaliser . On demande quelquefois que les deux sonneries fonctionnent ensemble pour établir un contrôle, d'autres fois un des postes ne doit jamais appeler, pour un domestique, par exemple, etc. ce sont là des modifications de montage ou des simplifications qu'on trouve aisément avec un peu de réflexion .Mais M.Gustave Trouvé a encore voulu éviter ce petit inconvénient aux personnes qui posent elles-mêmes leur téléphone.
C'est ainsi qu'il a réuni tous les organes sur une planchette (fig 233), en établissant à l'avance les connexions électriques . On n'a plus qu'à réunir les fils de la pile et de la ligne aux endroits indiqués.

Téléphones G. Trouvé
Très prisé par les collectionneurs de téléphones lorsque l'on y trouve la marque Eurêka.

LES MICROPHONES.

Nous abordons maintenant la microphonie. Par l'intercalation d'un contact libre, particulièrement d'un contact de charbon, dans le circuit d'un système téléphonique, on obtient une transformation parfaite des ondes sonores en courants électriques, et, par suite, une transmission téléphonique d'un genre tout particulier.
Depuis l'année 1876, la révélation de ce fait tout spécial et inobservé jusqu'alors, fut employé avec avantage par plusieurs inventeurs pour les usages de la téléphonie. Mais, ce n'est qu'en 1878 que le professeur D.E. Hughes, savant américain vivant à Londres, inventeur du télégraphe imprimeur, rassembla divers phénomènes déjà connus, mais épars et stériles, et découvrit que certaines matières dissemblables, c'est - à - dire non homogènes, pouvaient, par leur intercalation dans le circuit d'une batterie, produire, à l'aide des vibrations sonores, des courants ondulatoires électriques.
Il démontra que l'on pouvait ainsi augmenter non seulement la force des sons et des paroles, mais surtout celle de bruits presque entièrement imperceptibles par eux-mêmes, de façon à les entendre à une grande distance, en se servant d'un téléphone Bell introduit dans le circuit.
Hughes pensa avec raison qu'un appareil combiné d'après ce système était appelé à jouer, par rapport à l'ouïe, un rôle analogue à celui du microscope par rapport à la vue. Il lui donna en conséquence le nom de microphone, dont l'étymologie est grecque et veut dire petit son.
On peut donner à cet instrument des formes innombrables, des constructions variées et des combinaisons multiples.
C'est le 9 mai 1878 que Hughes fit présenter sa découverte à la Société Royale de Londres par le professeur Huxley. Un mois après, le 8 juin, il remit à la Société de physique un rapport dans lequel il exposa le principe essentiel du microphone, qu'il faisait reposer sur la présence, dans un circuit, d'un conducteur dont la résistance subit des variations exactement conformes à celles des vibrations sonores. Il indiqua, comme conducteurs propres à cet usage, de la poudre, de la limaille, enfin des conducteurs à forme plate et soumis à une pression de contact excessivement faible qui, si l'on veut obtenir l'effet maximum, doit elle-même être réglée d'après l'intensité du son à reproduire. Sous cette faible pression, les sons deviennent hauts et clairs, et, si celle - ci augmente, ils s'affaiblissent et cessent peu à peu. C'est pour cette raison que le microphone est plus applicable à la transmission des secousses mécaniques qui lui parviennent distinctement qu'à une simple excitation des ondes de l'air qui transmettent les sons à l'ouïe. Aussi entend-on beaucoup plus distinctement une tabatière à musique ou le tic-tac d'une montre placée directement sur une partie de l'appareil, que si l'on approche l'un de ces objets de l'instrument sans établir de contact avec lui. C'est pour cela, chose curieuse mais tout à fait normale, qu'une mouche courant sur l'appareil, produit un bruit qui peut être entendu dans un téléphone.
M. G. Trouvé a créé, sur le principe de Hughes, plusieurs variétés de microphones dont les formes changent suivant les usages auxquels ils sont destinés. La forme la plus simple, à laquelle M. Gustave Trouvé s'est attaché, est la forme cylindrique.
Son appareil ressemble à une petite lanterne sourde, dont la bougie est remplacée par un crayon de charbon. Cette disposition rend le système d'une extrême sen sibilité et en fait un appareil de poche qui n'a rien à craindre sous le rapport de la solidité ; le charbon étant entièrement préservé lorsque la porte se trouve fermée. Outre qu'on peut, sans danger aucun, le transporter partout, il se prête à merveille à toutes les expériences. La montre peut se placer sous ou sur le microphone, à volonté. Les insectes s'y trouvent emprisonnés directement ; aussi entend- on tous leurs ébats.
Ce microphone, placé au milieu d'un appartement, en révèle tous les secrets. La voix est admirablement transmise à un appa reil récepteur (téléphone), même lorsque l'on parle à 25 mètres et plus du microphone. Une mouche placée dans l'intérieur semble, dans le téléphone, faire des efforts inouïs pour en sortir. C'est maintenant qu'on peut entendre, de Marseille, une mouche voler sur les Tours de Notre -Dame!
Comme le microphone de Hughes, il agit par les variations de courants qui résultent des modifications dans les points de contacts du charbon faisant partie du circuit électrique.

Dans le microphone de M. Trouvé, le cylindre sert de caisse de résonnance qui concentre toutes les vibrations sur le cylindre de charbon artificiel placé au centre ; de là, son extrême sensibilité. Disposé comme l'indique la figure 234, il transmettrait non seulement le tic-tac de la montre, mais encore, simultanément, tous les bruits produits aux alentours ; la voix, le bruit des pas, en position pour percevoir seulement les vibrations sonores. un frôlement quelconque, qui ne seraient pas entendus directement par l'oreille.
Il en est autrement si on le suspend par ses cordons à une potence ( fig.235).
Dans ces conditions l'on entend à peine le bruit de la montre, ainsi que les bruits de frottement légers ; mais, par contre, les vibrations sonores sont seules transmises et acquièrent une netteté vraiment admirable. Le timbre de la voix est aussi parfait qu'avec deux téléphones ordinaires. La sensibilité de cet appareil est maximum lorsqu'il occupe la position verticale comme dans la figure 234. Au contraire, il devient de moins en moins sensible jusqu'à la position horizontale. Ces différents degrés de sensibilité s'obtiennent (fig.235) avec la plus grande facilité en faisant varier la longueur d'un des fils de suspension, sans toucher à l'autre, de façon à lui faire prendre toutes les positions. Placé sur une sorte de petite planchette en équerre, main tenue appliquée par une ceinture élastique dans le voisinage du ceur et des poumons, il révèle les bruits normaux ou morbides, dont ces organes sont le siège.


Les prix.


La figure 236 représente un autre modèle du microphone de M.Gustave Trouvé.
L'auteur est arrivé là à une grande simplicité et à un extrême bon marché. Ce microphone atteint la plus simple expression d'un appareil de ce genre.
Il est composé d'un pied à tige supportant un disque qui, avec le pied, maintient verticalement un crayon de charbon artificiel. Le disque peut tourner autour de la tige pour permettre le réglage, en donnant toutes les obliquités au crayon de charbon. Désirant soustraire le microphone aux causes d'erreurs extrinsèques auxquelles cet appare il est trop fréquemment soumis, M.Gustave Trouvé s'est spécialement appliqué un peu plus tard à ces recherches avec la collaboration de M. H.de Boyer. L'appareil qu'ils ont construit et employé et dont nous donnons le dessin (fig.237), constitue une véritable chambre.

A, Tube fixé au socle supérieur.
B, Tube portant la potence et le microphone C.
Ce tube est monté à frot tement dur sur le tube A, et s'abaisse ou s'élève à volonté au moyen d'une crémaillère et d'un pignon p.
C, Microphone très sensible.
m, Muscle en expérience ; il porte suspendu à son extrémité une petite boule munie d'un crochet et d'une pointe en platine qui plonge dans un godet de mercure.
Les flèches situées à gauche du dessin indiquent le sens du courant microphonique ; celles de droite, le sens du courant excitateur microphonique dans laquelle des expériences, physiologiques ou autres, pourront être effectuées dans des conditions déterminées et capables d'être modifiées au gré des expérimentateurs.
On voit qu'il consiste essentiellement en deux circuits électriques isolés l'un de l'autre ; dans le cas des expériences de physiologie musculaire que MM. Trouvé et de Boyer ont communiquées à la - Société de biologie, le 17 janvier 1880, l'un de ces circuits était excitateur du muscle, l'autre communiquait nécessairement avec le téléphone.
Les contacts de ces circuits se font tous au mercure, et le modèle de microphone employé dans ces derniers essais était vertical ; il suffira, du reste, d'un coup d'ail sur la figure et la légende explicative pour nous dispenser d'entrer dans le détail de cet appareil. Ayant complètement soustrait le microphone à l'influence des causes autres que les chocs mécaniques, MM. Trouvé et de Boyer ont constaté que le travail du muscle ne donne pas lieu à un choc mécanique, qu'il agit par ondulations lorsque le muscle est libre de se contracter sans effort et sans résistance.
Des dispositions nouvelles permettront d'expérimenter sur les vibrations moléculaires qui peuvent se produire dans le muscle.
L'instrument de MM. Trouvé et de Boyer se distingue surtout par les conditions expérimentales toutes particulières dans les quelles ces observateurs placent le muscle au cours de leurs recherches : il nous semble du reste que la disposition de l'appareil permettra de l'appliquer à d'autres déterminations physiologiques ; c'est, croyons -nous, le but du travail entrepris et pour suivi par ces deux chercheurs, qui ont voulu doter la physiologie expérimentale d'un appareil parfait. M.Gustave Trouvé avait d'ailleurs présenté le 15 juillet 1877, à la Société de Biologie de Paris, un appareil destiné à donner aux élèves une idée du mode de contraction musculaire, et dont nous empruntons la description à la Gazette des Hôpitaux du 17 juillet 1877.
---- DU MODE DE CONTRACTION MUSCULAIRE ----
M. Oaimus présente, à la Société de biologie (séance du 6 juillet 1877), au nom de M.Trouvé, un appareil électrique destiné à mettre en évidence le mode de contraction musculaire.
M.Trouvé, frappé des effets considérables que produisait sur ses muscles un faible courant électrique, a pensé que là devait résider un des principaux récepteurs de la force électro -motrice. Ce fut dans ce sens qu'il dirigca ses expériences dont le résultat fut la construction d'un instrument répondant à toutes les fonctions du muscle.
M. Trouvé a assimilé les molécules actives du muscle à de petits électro aimants s'attirant par leurs pôles contraires. Il est facile de comprendre de suite le travail produit par un pareil mécanisme.
L'effort exercé par deus électro-aimants, multiplié par la surface de section, donne bien l'idée du travail - produit par le système, et l'amplitude du mouvement, mais ne peut rendre compte des effets considérables observés sur le muscle.
Aussi M. Trouvé, continuant son étude, acquit la preuve qu'il fallait nécessairement totaliser chaque effort individuel des électro-aimants, car ce total devait donner mathématique ment la résultante de la puissance totale du système, et par cela niême, une plus haute idée de l'énergie du muscle.
Quel pouvait être maintenant le mécanisme pouvant totaliser les efforts ? M.Trouvé, se rappelant ce jeu des enfants, appelé grenouillette, qui consiste dans des parallelogrammes articulés faisant mouvoir des soldats, construisit un appareil qui se composé d'une série d'électro-aimants s'attirant entre eux par leurs pôles contraires, et réunis par des paraliélogrammes articulés qui en totalisent les efforts.
Sans oser préjuger, en aucune façon, de la forme du muscle et sans prétendre en rappeler tous les effets, ce petit appareil en explique cependant presque toutes les propriétés, et permet, dès maintenant, de formuler la théorie suivante : La puissance d'un muscle est la résultante de toutes les attractions molé culaires partielles.

Ce petit appareil explique, d'une façon très satisfaisante, la contraction totale d'un muscle, par l'électrisation localisée (méthode de Duehenne, de Boulogne) sans avoir recours à des actions reflexes ou à la propagation de l'ébranlement moléculaire. Il permet encore d'expliquer la persistance de la contraction musculaire dans ses effets par la persistance du magnétisme.

Transmetteur microphonique Trouvé - Dunand.
- Le transmetteur Trouvé - Dunand présente des avantages importants dans la téléphonie domestique.
Il se compose de deux plaques métalliques A, A', réunies par un cadre en bois formant avec elles une boite hermétiquement 382 fermée, dans laquelle le système microphonique est à l'abri de la poussière et de l'air.
Aux centres internes des plaques métalliques vibrantes étaient collées primitivement deux petites pastilles de charbon soutenant par pression un charbon B en forme d'olive, un peu plus long que la distance qui les sépare. M. G. Trouvé a remplacé les plaques métalliques par deux plaques A, A'de charbon ( fig 239 ), ce qui évite l'adjonction des pas tilles. L'olive centrale est prise en son milieu par un collier de fil de laiton tendu diametralement et dont l'une des extrémités est reliée à un bouton C, l'autre étant fixée au cadre.

Selon que l'on tourne plus ou moins le bouton, le fil est plus ou moins tordu et appuie le crayon B plus ou moins fortement contre les faces internes des plaques. La communication électro-microphonique entre les deux plaques A, A ' se trouve donc établie par l'intermédiaire du charbon olivaire B. L'index du bouton C se meut sur un cercle gradué, permettant de régler l'appareil avec précision en tenant compte de l'intensité des sons transmis. Une personne peut chanter sur chacune des plaques A, A' et l'appareil rendra le duo avec fidélité et netteté, sans pitié pour l'insuffisance musicale si fréquente des expérimentateurs. Le fonctionnement de ce microphone rentre dans le cas général.
Il peut actionner un récepteur téléphonique, soit directement, sans l'intermédiaire d'une bobine d'induction, soit indirecte ment, à l'aide de cette bobine.
Quant au poste micro-téléphonique, représenté figure 240, il réunit sur une seule planchette tous les organes de transmission et de réception de la parole ; c'est un avantage très grand pour les amateurs qui n'ont nullement à se préoccuper des communications électriques pour établir les relations entre tous les organes constituant le poste.
Deux paires de serre-fils, dont les rôles sont inscrits sur la planchette, reçoivent d'un côté les fils de ligne, de l'autre les fils de la pile.
Le microphone du système Trouvé -Dunand est fixé sur la boite même de la sonnerie d'avertissement.
Le bouton d'appel occupe la partie inférieure de la planchette tandis que les deux téléphones en bois durci et à réglage de précision, du modèle de M. Trouvé, occupent les côtés du poste.
La commutation se fait au tomatiquement en décrochant ou en suspendant les téléphones.
Le poste est très condensé, et le genre du microphone adopté donne une grande amplitude à la voix, sans jamais produire de crachements ni le bruit de friture Poste micro -téléphonique assez familier aux postes téléphoniques munis d'un micro phone trop sensible.
Ici la sensibilité du microphone Trouvé Dunand est ce que l'on veut ; il suffit de donner plus au moins de torsion au fil métallique qui supporte le petit crayon de charbon établissant la communication électro -microphonique entre les deux membranes.

Brevet Trouvé 123108. B. de 15 ans, 9 mars ; Système de téléphone transmetteur.
Brevet Trouvé 123277. B. de 15 ans, 18 mars ; Perfectionnements dans les téléphones.
Brevet Trouvé138903. B. de 15 ans, 2 octobre; Système d’appareil avertisseur pour téléphones.


Sommaire

Le 24 avril 1888, lors d’une séance de la Société d’Odontologie de Paris consacrée aux applications de l’électricité à l’Art Dentaire, Gustave Trouvé occupe une place centrale. Il présente tout d’abord une nouvelle pile au bichromate de potassium avec six éléments dans un coffret de transport en ébonite de 3 kg : pile remarquablement fiable, simple et économique.

LES PILES DE M. GUSTAVE TROUVÉ.

Le père de la pile électrique, le lecteur s'en souvient, c'est l'illustre physicien italien Volta (1745-1827), qui a donné la théorie du contact.
Mais, depuis ce temps, les piles ont bien changé ! Elles sont devenues presque innombrables et, chose à noter, la théorie primitive a été abandonnée, après des luttes mémorables, pour une nouvelle théorie.
C'est qu'en effet, tout en reposant sur des faits irrefutables, elle n'était pas complète parce qu'elle ne tenait pas compte, comme le dit très bien le docteur Bardet, dans son excellent Traité d'électricité médicale, de tous les faits qui donnent naissance au courant. La nouvelle théorie est connue sous le nom de théorie chimique. Elle a été définitivement établie, principalement par les travaux de Faraday, Grothus, César Becquerel. On ait que la théorie de Volta repose sur le contact zinc et du cuivre, qui constituent les couples de sa pile.
L'expérience prouve, en effet, que toutes les fois que deux métaux différents sont mis en contact, ils se trouvent posséder chacun un potentiel différent, le cuivre prenant une tension négative, le zinc devenant positif, et une production d'électricité résulte du contact de ces métaux hétérogènes. La théorie chimique de la pile a été imaginée par Grothus, en prenant un couple formé de deux lames de zinc et de cuivre réunies extérieurement par un fil métallique plongeant dans une solution étendue d'acide sulfurique. Il se produit deux phéno mènes corrélatifs, qui sont : une combinaison chimique et une mise en liberté d'électricité.
Il y a production dans l'intérieur de la pile ainsi constituée et enfermée dans un vase, d'un véritable flux ou courant de fluide, se dirigeant du zinc au cuivre, et allant du cuivre au zinc à l'extérieur. Ceci établi, il ne s'agis sait plus que d'exiger d'une pile, pour en avoir un service excel lent, les trois qualités suivantes : simplicité, constance, grande intensité. Une foule d'inventeurs se sont jetés dans ces recherches, et sont parvenus à des résultats très divers. Aujourd'hui l'expérience acquise demande qu'on renonce aux piles à deux liquides, pour aboutir à une réelle simplicité, car avec le vase poreux, elles sont une cause de complication et de gêne. De plus, la différence de densité entre les deux liquides produit toujours des effets d'endos mose et d'exosmose à travers le vase poreux. Ce sont des effets qui usent en peu de temps la pile, même au repos.
C'est à cette cause notamment qu'il faut attribuer l'usure rapide du modèle classique de Bunsen qui, ayant ou non fonctionné, est, au bout de huit à dix heures, tout à fait hors de service.
Aujourd'hui, parmi les piles énergiques à un seul liquide, une seule réunit la simplicité à une force électro-motrice élevée et à une grande intensité, c'est celle au bichromate de potasse, sans que ses promoteurs soient parvenus à lui donner de la constance, car elle s'affaiblit aussitôt qu'elle est en action, et arrive même en très peu de temps à ne plus donner du tout de courant.
M. Gustave Trouvé a découvert le moyen de lui fournir une constance grandement suffisante pour les usages domestiques et médicaux, tout en lui conservant sa simplicité et son intensité primitives. Voici la modification qu'il a imaginée et qui est très ingénieuse.
On sait que le bichromate de potasse se dissout dans l'eau froide, dans la proportion d'environ 100 grammes pour 1 litre, c'est- à -dire au dixième en poids. Si on dissout ce sel à chaud, l'eau en prend une plus forte proportion ; mais il se produit un grave inconvénient.
Une fois le liquide refroidi, le sel se dépose et forme des cristallisations tellement adhérentes aux parois des vases, qu'il les déforme toujours et les brise souvent. De plus, quand la pile au bichromate de potasse a fonctionné pendant un certain temps, il se forme de l'alun de chrome qui, à son tour, cristallise avec les mêmes inconvénients et encrasse les charbons, qui sont à la fin recouverts d'une gaîne tout à fait nuisible au fonctionnement. M. Gustave Trouvé a imaginé de modifier ainsi la préparation du liquide chargé de donner de la constance à la pile.
Il jette dans de l'eau du bichromate de potasse réduit en poudre ( 125 à 150 grammes pour 1 litre ), il ajoute ensuite, en versant lentement et en mince filet, et en agitant constamment le liquide, jusqu'à 450 grammes d'acide sulfurique par litre, soit un quart en volume. Le mélange liquide s'échauffe peu à peu, et le bichromate de potasse, une fois dissous, demeure limpide et ne dépose pas par la cristallisation en se refroidissant. Pendant la fonction et même après épuisement complet, cette solution de bichromate de potasse acidulé ne laisse pas se former des cristaux d'alun de chrome.
On n'en trouve aucune trace, même après plusieurs mois, si on a eu le soin d'éviter l'évaporation.
Le résultat est très important et ouvre des horizons nouveaux à l'étude des mélanges et des combinaisons des liquides.
On dirait, dans le cas présent, que ce liquide a été fait tout d'une pièce, et qu'on se trouve en présence d'une solution nettement définie.
Il y a là, sans aucun doute, un maximum de saturation atteint une fois pour toutes, une sorte de point précis où, la sursaturation étant produite, il ne peut y avoir aucune oscillation ni en deçà ni au delà. Le résultat est d'autant plus remarquable et précieux, qu'il devient inutile de constituer un réservoir d'acide ou de sel de chrome, comme dans la pile de Daniell, qui emmagasine le sel de cuivre, car le bichromate de potasse ajouté après le mélange ne se dissout plus dans le liquide déjà acidulé. Les proportions indiquées plus haut sont définies et constituent un liquide normal incapable de recevoir d'autres mélanges étrangers. La constance de cette pile est donc absolument assurée par ce fait seul, qui frappera suffisamment l'esprit, que le liquide se trouve sursaturé. En effet, tant que le bichromate qui est en excès, et pour ainsi dire mis en réserve, n'est pas épuisé, la constance dure et ne cesse qu'au moment où tout rentre dans les conditions ordinaires des piles au bichromate de potasse à solution non sursaturée.
La préparation spéciale, imaginée par M. Gustave Trouvé, ne pouvait que renforcer la puissance de cette pile, puissance due aux indications de Poggendorff, qui, en réalisant le premier le liquide au bichromate, a découvert la combinaison qui donne la force électro-motrice la plus considérable.

Fig. 26. — Pile de M. Gustave Trouvé, constante et à grand débit, avec auge et treuil perfectionné, et munie de pinces élastiques et mobiles, pour établir la relation des éléments entre eux.

Quant à la simplicité, elle s'explique d'elle-même; elle découle de la constitution de la pile qui, étant à un liquide unique, ne peut pas être moins com pliquée. Cependant le probleme n'était pas encore entièrement résolu. Il restait une dernière difficulté, celle de la mise en service ou de la manipulation de la pile. Si on laisse les zincs et les charbons séjourner dans le liquide excitateur, la pile s'épuise, même à circuit ouvert et sans fonctionner. Si on ne sort que le zinc seulement, comme dans la pile-bouteille, par exemple, le charbon, demeurant toujours dans le liquide, ne tarde pas å se saturer, à s'encrasser, c'est- à-dire à être couvert de cristaux d'alun de chrome.
M. Gustave Trouvé a eu soin de parer à ces deux inconvénients graves en montant sur sa pile un treuil particulier qui, au moyen d'une manivelle, relève les charbons et les zincs et empêche ainsi tout contact inutile entre le liquide et les éléments. Le mécanisme de ce treuil a encore été perfectionné par un petit arrêt en bois que l'on peut voir en X dans la figure 26 et qui est destiné à empêcher les éléments de remonter trop haut et de sortir des vases.
M. Georges Dary, dans une excellente brochure sur la Navigation électrique, a donné une description fort détaillée et très claire de cette pile nouvelle, á auge et å treuil, qui s'est répanduo rapidement dans les cabinets de physique.
Nous lui empruntons les détails explicatifs suivants sur toutes les parties qui la cons tituent.
Elle se compose :
1 ° D'une auge en bois de chêne, munie d'autant de cuves en ébonite (caoutchouc durci ) qu'il y a d'éléments, et surmontée d'un treuil, avec rochet, encliquetage et point d'arrêt automatique.
2° D'un nombre d'éléments variant de 6 à 12, mais plus généralement de 6, pour en faciliter le maniement.
3° Du liquide excitateur : acide sulfurique et bichromate de potasse, dans les proportions que nous avons indiquées plus haut.
L'auge a été construite d'une façon ingénieuse, afin de pouvoir, au moyen du treuil, plonger à volonté les éléments dans le liquide ou les en faire sortir complètement.
De cette manière, il est facile de varier la production d'électricité suivant le plus ou moins d'immersion, et de la faire cesser en élevant les éléments au - dessus du liquide, sans que ceux- ci sortent complètement des cuves. L'arrêt de bois, auquel nous avons fait allusion, remplit cet office. En le supprimant, ou bien en le poussant de côté, à droite ou à gauche, la hauteur du treuil permet alors de rendre les éléments indépendants, et on peut vider ou remplir avec aisance les cuves.
La face antérieure de l'auge est munie d'une charnière qui lui permet de s'abattre et de faire sortir les vases sans déranger les éléments.
Il est alors facile de les nettoyer et de les remplir à moitié avec du liquide neuf. Il est utile aussi de faire tremper de temps en temps les charbons dans de l'eau ordinaire un peu chaude, afin d'en revivifier les surfaces.
Les éléments sont formés d'une lame de zinc et de deux charbons cuivrés galvaniquement dans leur partie supérieure, comme on peut le voir dans la figure 27. Ce cuivrage a pour but de consolider les charbons, matière toujours un peu fria ble, et de diminuer considéra blement la résistance du cicuit extérieur de la pile, en augmentant ainsi la conductibilité du charbon.


FIG. 27. Éléments de la pile de M. Gustave Trouvé dont les charbons sont cuivrés à la partie supérieure.

Le zinc des éléments ( fig. 27 ) est amalgamé dans toute toute la masse, et il présente supérieure une encoche, qui sert à le fixer à l'axe métallique isolé et recouvert d'une chemise en caoutchouc, sur lequel repose tout le système. Cette encoche permet de déplacer très rapidement les zincs, soit pour les amalgamer, soit pour tout autre motif. Enfin les contacts sont établis par des pinces mobiles d'un modèle fort ingénieux, spécial encore à M. Gustave Trouvé, et déjà employées, bien longtemps avant, pour sa pile galvano-caustique, dont nous allons parler plus loin.
Il faut veiller à ce que les zincs soient toujours amalgamés avec soin.
Cette opération peut se faire facilement, car ils sont placés à cheval sur l'axe qui les supporte, au moyen d'une fente transversale pratiquée dans leur partie supérieure. Il n'y a donc qu'à desserrer les écrous qui maintiennent tout le système et qui sont placés aux deux extrémités. L'amalgame des zincs s'effectue très facilement dans une assiette contenant de l'eau acidulée au 1/20° environ et un peu de mercure que l'on étale sur les zincs en les frictionnant énergiquement avec une brosse. Si l'on veut se dispenser de cette opération un peu laborieuse, on se contente d'immerger les zincs dans une solution de mercure, dans de l'eau régale, suivant la formule que voici : Acide chlorhydrique : 750 grammes et Acide azotique : 250grammes.
Dans le mélange, on fait dissoudre à chaud 200 grammes de mercure, puis on ajoute 1000 grammes d'acide chlorhydrique. L'immersion du zinc ne doit pas durer plus d'une seconde. Telle est l'énergie du liquide, que ce temps suffit pour amalgamer et décaper l'élément, quelque sale qu'il puisse être.
La batterie de la pile à treuil est composée couramment de six éléments.
Elle donne un courant de grande intensité et sert à exciter les moteurs de M. Gustave Trouvé ; mais elle peut, avec · les mêmes avantages, être utilisée à animer les grandes bobines d'induction, les lampes à incandescence, etc. Elle est indispensable dans les cabinets de physique où elle s'est, du reste, prompte ment répandue.
M. d'Arsonval, qui a fait faire de grands progrès aux applications de l'électricité, à la physiologie expérimentale, et qui est un des meilleurs élèves de Claude Bernard, a trouvé, après de nombreuses expériences avec cette pile, que la force électro-motrice était en moyenne de 2 volts par élément, et la résistance de 0 ohm 0016. L'intensité est considérable en court circuit; elle peut atteindre centaine d'ampères.
En débit normal, les constantes sont, pour la force électro-motrice de chaque couple, de 1 volt, 9 et 0 ohm 08 pour la résistance.
Dans ces conditions, on obtient d'une batterie de six éléments un courant constant de 20 à 25 ampères et de 11 à 12 volts pendantplusieurs heures.
C'est un beau résultat, comme on le voit, et dont on peut modérer à volonté les effets par l'immersion plus ou moins prononcée des éléments dans leur solution.
Fig.28. – Pile ou batterie portative à grande surface de M. Gustave Trouvé.

Pour l'usage spécial de la galvanocaustique thermique, M. Gustave Trouvé a rassemblé, sous la forme portative et sous un très petit volume (fig. 28), dix éléments de sa pile au bichro mate, occupant environ 2 décimètres cubes. Cette pile, si connue et si appréciée du monde médical, est celle qui, jusqu'à ce jour, fournit, sous le volume le plus réduit, la plus grande somme d'énergie et le minimum de résistance intérieure. Son poids est d'environ 5 kilogrammes, et, malgré son exiguïté, elle a donné, en court circuit, à M. d'Arsonval, au Collège de France, 118 ampères, 4 volts, avec une résistance de O ohm, 0010. La partie immergéo représente un cube de 0 m,12 de côté.
Elle (est composée de 10 charbons et 10 zincs.
La cage de cette pile à grande surface est formée simplement par trois plaques d'ébonite. L'une sert de base et les deux autres constituent les montants. Le tout est maintenu, à la partie supérieure, par la poignée même. L'écartement des éléments, zinc et charbon, est obtenu facilement au moyen de jarretières de caoutchouc élastique que l'on place spécialement en haut et en bas des charbons. Ces jarretières ou bracelets, que l'on obtient en sectionnant un tube de caoutchouc souple, servent encore de coussins en cas de chocs violents, et évitent la rupture des charbons. Dans cette pile, comme dans celle à auge et à treuil, les mêmes contacts mobiles à pinces sont employés, et ils offrent, comme nous l'avons vu, le grand avan tage de se placer et déplacer instantanément pour être nettoyés et faciliter l'amalgame des zincs.
De plus, ils servent å relier, suivant les cas, les éléments en quantité ou en tension.
Une batterie de six éléments, soumise à des essais au Collège de France, sur un moteur de M. Gustave Trouvé, ayant un poids de 3 kilogrammes 300 grammes, a développé au frein un effort mécanique de 3 kilogrammètres 75 par seconde, ce qui est très remarquable pour un appareil d'un volume aussi minime.
En passant, n'hésitons pas à rappeler que le kilogrammétre est l'unité de force équivalente à l'effort nécessaire pour elever, en une seconde de temps, un poids de 1 kilogramme à 1 mètre de hauteur. D'après une autre série d'expériences, entreprises par le même savant dans le même établissement, avec des moteurs d'une force d'un demi-cheval et d'un poids de 8 kilogrammes, et d'une force d'un cheval et d'un poids de 16 kilogrammes, le rendement obtenu a été de 60 à 65 pour 100, pour un nombre d'éléments variant de 24 à 48, et à une vitesse moyenne de 2400 tours par minute, ainsi qu'il résulte de l'examen du tableau qui se trouve en tête de la page suivante.
Il va de soi qu'en augmentant les dimensions du moteur Trouvé, et en même temps la puissance de la pile électrique, on obtient un rendement mécanique supérieur. Ce rendement est d'autant plus élevé que le moteur est plus puissant. Il peut alors atteindre 90 et 92 pour 100.

LES PILES AU BICHROMATE DE POTASSE DE M.G. TROUVÉ

Résultats d'expériences faites par M. Hospitalier sur doux batterios de six éléments ( Note présentée à la Société française de physique le 20 avril 1883 ). « Chaque batterie de six éléments se compose ( fig 26 ) d'une auge en chêne garnie de six cuvettes rectangulaires en ébonite qui contiennent le liquide de chaque élément.
Les zincs et les charbons, reliés entre eux par des pinces mobiles, sont montés sur un treuil qui permetde faire varier à volonté leur immersion dans le liquide et de régler le débit, en plongeant plus ou moins les éléments, c'est-à dire en faisant varier la résistance intérieure de la batterie et sa surface.
fig 30 Diagramme de fonction de deux batteries active de M G Trouvé.

Enfin, un arrêt en bois empêche les éléments de sortir complètement des cuves ; en supprimant cet arrêt, en le poussant de côté, la hauteur du treuil permet de les rendre absolument indépendants, de manière å vider ou à remplir les cuves en ébonite. La face antérieure de l'auge est munie, à cet effet, d'une charnière, qui permet dès lors de l'ouvrir et de sortir les cuvettes sans déranger les éléments Les éléments sont formés d'une lame de zinc et de deux charbons cuivrés, galvaniquement à leur partie supérieure. Le zinc présente une encoche qui sert à le fixer à l'axe métallique recouvert de caoutchouc qui supporte les éléments.Cette disposition permet de déplacer très rapidement les zincs pour les amalgamer ou les remplacer.
La composition du liquide pour une batterie de six éléments est la suivante : kilogrammes :
Eau............................................ 8,0
Bichromate de potasse pulvérisé. 1,2
Acide sulfurique..........................3,6
Total........................................ 12,8

La solution renferme donc 150 grammes de bichromate par litre d'eau au lieu de 100 grammes, comme dans la solution de Poggendorff.
Pour un débit plus rapide, M.Trouvé augmente encore la quantité de bichromate et dit parvenir à faire dissoudre 200 et jusqu'à 250 grammes de bichromate de potasse par litre d'eau.
Voici comment M. Trouvé prépare la solution : Il jette dans de l'eau du bichromate de potasse en poudre, à raison de 150 grammes de ce sel par litre d'eau ; après avoir agité, il ajoute en versant en mince filet et très lentement jusqu'à 450 grammes d'acide sulfurique par litre, soit un quart en volume, en continuant d'agiter ; le mélange liquide s'échauffe peu et le bichromate, une fois dissous, reste limpide et ne dépose pas par cristallisation en se refroidissant. La préparation demande de huit à dix minutes.
Il faut avoir bien soin de ne pas faire usage d'un agitateur en bois qui serait rapidement carbonisé en épuisant inutilement une partie de la solution.
Le poids moyen d'une batterie de 6 éléments se répartit ainsi en kilogrammes.
Six zincs..................... 7,680
Douze charbons...........5,400
Six cuvettes en ébonite.1,620
Contacts......................0,600
Boite en chène..............3,000
Montants en fer............2,300
Liquide......................12.800
Poids total................ 33,400
Soit 67 kilogrammes environ par deux batteries.

RÉSULTATS DES EXPÉRIENCES
Les 12 éléments montés en tension ont été déchargés sur 6 lampes Swan en dérivation.
Le débit a été réglé, en manæuvrant le treuil de chaque batterie, de manière à maintenir un courant constant de 8 ampères pendant quatre heures un quart. Au moment de l'immersion, le coup de fouet, dû à la grande force électromotrice initiale de chaque élément, a fourni un courant de 12 ampères, bien que les zincs ne fussent plongés que de 2 centimètres environ.
Après quelques minutes, le courant est revenu à son intensité normale de 8 ampères.
Un léger échauffement du liquide a ensuite provoqué une légère augmentation du débit, qui est redevenu normal quinze minutes après la mise en marche.
La pile a fonc tionné dans ces conditions pendant une heure et demie sans qu'on ait dû abaisser les zincs. A partir de ce moment, on a compensé l'affaiblissement du débit en augmentant graduelle ment la surface immergée. Les variations n'ont jamais dépassé un demi-ampère et le courant moyen a été très soigneusement maintenu à 8 ampères pendant quatre heures un quart (fig.30), temps après lequel les zincs se trouvaient complètement im mergés et plongeaient de 15 centimètres environ dans chaque élément. A partir de ce moment, la décroissance a été très régulière et l'expérience arrêtée en soulevant les zincs et les retirant complètement du liquide lorsque le courant a atteint 5 ampères.
La décharge se divise donc en deux phases :
1° phase. – Débit maintenu constant à 8 ampères pendant quatre heures un quart.
2° phase. — Débit régulièrement décroissant de 8 à 5 ampères pendant une heure et vingt- cinq minutes.

1 ° Phase constante.
- Différence de potentiel aux bornes des lampes. 14,15 volts.
,................................................. des batteries. 16,70
Intensité du courant............................................ 8 ampères.
Débit, par seconde, dans le circuit extérieur....... 133,6 watts.
,....................................................................... 13,5 kilogrammètres.
Durée de la phase constante.............................. 15 300,00 secondes.
Quantité d'électricité fournie.............................122 400,00 coulombs.
Energie disponible dans le circuit extérieur..........206 550,00 kilogrammètres.

2° Phase décroissante.
Pendant cette seconde phase, le courant moyen a été de 6,53 ampères pendant une heure vingt-cinq minutes ou 5100 se condes, et l'énergie électrique moyenne disponible dans le circuit extérieur de 9 kilogrammètres par seconde.

Travail total.
Lorsqu'on totalise les deux phases qui représentent le débit réel dans les conditions de l'expérience, on trouve les résultats suivants : Quantité totale d'électricité fournie.
Energie totale disponible. 456 900,00
coulombs...................... 253 350,00 kilogrammètres.
Le cheval-heure étant égal à 270 000 kilogrammètres, ces chiffres montrent que les deux batteries ont fourni ensemble 0,96 de cheval-heure, soit sensiblement un demi-cheval -heure par batterie de 6 éléments.
Cinq batteries de 6 éléments, soit 30 éléments en tension, suffiraient donc pour alimenter une lampe à arc brûlant des charbons de 9 millimètres de diamètre ; avec un courant de 7 ampères et 40 volts de différence de potentiel aux bornes de la lampe, pendant plus de cinq heures.
Consommation du zinc.
- Les zincs pesés avant et après l'expérience ont indiqué une consommation de :
Pour la première batterie. 751
Pour la seconde............ 712 grammes.
Total............................ 1463.
Soit en moyenne 122 grammes par élément.
La consommation minima a été de 103 grammes et la consommation maxima de 133 grammes.
La consommation théo rique, déduite de la quantité d'électricité et des équivalents électro-chimiques, est de 53 grammes par élément ou 636 gram mes pour les deux batteries.
Il résulte de ces expériences que deux batteries Trouvé de 6 éléments chacune, chargées à neuf, représentent une énergie électrique disponible de 1 cheval-heure, ou 270 0000 kilogram mètres, sous un poids qui ne dépasse pas 67 kilogrammes (1 ).
( 1 ) « Il importe de faire remarquer ici qu'aucune disposition n'a été prise au point de vue de la légèreté, et qu'il serait facile de réduire ce poids à 50 kilo grammes. Ce chiffre est inférieur à ce que les accumulateurs ont pu fournir jusqu'à présent sous le même poids.»
Depuis lors, M.G. Trouvé, pour des expériences de navigation aérienne répétées, a considérablement réduit leur poids, en s'arrêtant au strict nécessaire.C'est ainsi qu'il est arrivé à construire des batteries de 12 à 15 kilos par cheral heure. C'est un beau résultat.

La consommation est représentée par les chiffres suivants :
Zinc..............................1463
Bichromate de potasse. 2400
Acide sulfurique......... 7200 grammes.

FIG 31, Pile à faible débit, modèle à vase poreux et à deux liquides, de M. Gustave Trouvé

Ces chiffres permettent de calculer facilement quel est le prix du cheval-heure d'énergie électrique disponible, lorsqu'on se place dans les conditions moyennes de débit dont les résultats sont consignés ci- dessus.
M.G. Trouvé dispose également cette pile pour fonctionner à deux liquides et à petit débit (fig.31 ).
Dans ce cas elle est munie de vases poreux dans lesquels plongent les zincs.
La composition des solutions qui l'alimentent est consignée au tableau nº 3.
Les figures 32, 33, 34 et 35 font voir le détail de la construction de la pile humide qui a été si commodément substituée à la pile liquide, dans bien des cas, notamment dans les appareils électro-médicaux et de télégraphie militaire de notre infatigable inventeur.
Cette pile est une pile Daniell modifiée ; elle présente le grand avantage de fonctionner sans liquide, ou du moins sans liquide libre pouvant se renverser ou fuir des vases qui le contiennent.
Les électrodes zinc ct cuivre, de forme circulaire, sont séparés par de nombreuses rondelles de papier buvard ( fig 32).
La moitié de cette colonne de papier, celle qui est contiguë au cuivre, est fortement imprégnée de sulfate de cuivre, par une immersion dans une solution concentrée et bouillante de ce sel. La moitié supérieure voisine du zinc est faiblement imprégnée de sulfate de zinc par immersion dans une solution étendue et froide. L'ensemble est monté sur une tige centrale en cuivre rouge, soudée à l'électrode inférieur, également en cuivre.
Cette tige, isolée latérale ment par une gaine de caoutchouc, traverse toutes les rondelles de papier ainsi que l'électrode supérieure en zinc, pour venir se suspendre au centre d'un disque d'ardoise ou de caoutchouc durci, servant de couvercle au récipient de verre qui renferme le couple.
La tige centrale, filetée à sa partie supérieure, constitue le pôle positif du couple. Une tige latérale, émergeant pareillement du couvercle, est en communication avec l'électrode zinc. C'est le pôle négatif.
Si l'on dessèche la pile, les deux électrodes se trouvent isolés l'un de l'autre, et l'appareil, inerte quoique chargé, conserve indéfiniment sa provision de matières actives. Par une simple apparition à l'air, le papier et les sels qu'il contient s'humectent, le sulfate de zinc surtout, et la pile peut fonctionner. Sa résistance est alors très grande.
Si on veut la mettre franchement en activité, il suffit de la tremper dans l'eau, puis de la laisser égoutter dans sa position normale avant de la replacer dans son récipient. Le papier buvard reste imprégné des sulfates dissous, et la pile, quoique no conte nant pas de liquide libre, peut fournir un courant d'intensité suffisant pour les besoins de l'horlogerie électrique ou de la télégraphie. C'est sous cette forme qu'elle est employée avec avantage à l'Observatoire de Paris, depuis de longues années, pour l'enregistrement des phénomènes météorologiques.
Enfermée dans un vase de verre, comme le montre le dessin, la pile garde longtemps son eau d'imbibition. Elle est très constante et sa durée est fort grande parce que les sels ne peuvent se mélanger comme dans les couples à liquides libres. C'est seulement à la surface que les deux sulfates de cuivre et de zinc pourraient progresser l'un vers l'autre, véhi culés par l'humidité ambiante.
Mais M. Gustave Trouvé a prévu cet inconvénient, et il y a paré en disposant les papiers par disques de douze rondelles chacun et de deux diamètres, alter nativement différents, de sorte que la géné ratrice de la colonne spongieuse est une ligne brisée, infran chissable pour les sels voyageurs.

FIG 32 — Pile humide enfermée dans un vase de verre, système de M.Gustave Trouvé.

Quand il s'agit d'une pile de plusieurs couples, il n'est pas nécessaire que chacun d'eux ait un récipient.
On en met un certain nombre dans la même boîte et on les fixe au couvercle commun, en prenant les dispositions convenables pour les cou plages et les isolements.
Ce dispositif de M. Gustave Trouvé, qui empêche radicalement la diffusion du sulfate de cuivre du côté zinc, si onéreuse dans les diverses formes de la pile Daniell, est facilement applicable å quelques autres combinaisons voltaïques primaires ou secon daires. Voici le tableau des données de constructions relatives au modèle de la figure 32 :
Diamètre des électrodes 5 centimètres.
Distance entre les électrodes 9 centimètres.
Cet espace est rempli par 12 disques.
Les disques sont composés chacun de 25 papiers.
Soit en tout 300.
Poids du sulfate de cuivre occlus ( SO‘Cu, 5HO ). 300 grammes.
Poids du sulfate de zinc occlus ( SO'Zn, 7HO ). 20 grammes.

On peut assurer que 300 grammes de sulfate de cuivre correspondraient théoriquement à une émission totale de 235,000 coulombs ; mais la pile est pratiquement épuisée avant d'avoir fourni cette quantité. Son débit étant faible, elle peut travailler conti nuellement pendant plusieurs mois ; en service intermittent, on l'a vue fonctionnner deux années de suite. Le papier dure aussi longtemps que l'électrode zinc. On le remplace en même temps que lui. Il va de soi qu'en allongeant la pile on accroit à la fois sa capacité de travail et sa résistance ; mais, on l'élargissant, on n'accroît que sa capacité et l'on diminue sa résistance. La résistance est plus grande que celle des piles à liquides libres, de dimensions correspondantes.
Cette pile humide s'est propagée rapidement dans la forme que nous venons de décrire.
L'Observatoire de Paris et celui de Cordoba, ce dernier dirigé par M. Beuf, en font un usage cons tant dans les appareils d'enregistrement.
Niaudet, dans son Traité élémentaire des piles, justement apprécié et très recherché, ne craint point de dire que, sous cette forme, la pile au sulfate de cuivre atteint une constance remarquable et qu'elle doit être considérée comme la plus constante des piles connues.
Telle était aussi l'opinion de M. A. Bréguet, jeune savant des plus compétents et trop tôt enlevé à la science.
Voici comment il s'exprime à ce sujet dans un remarquable article sur l'Unification de l'heure dans les grandes villes par le moyen de l'électricité, paru dans le Génie civil du 1er novembre 1880.
Après avoir passé en revue toutes les difficultés inhérentes au transmetteur, aux contacts å opérer et aux transmissions électriques, M.A. Breguet en arrive à celles que présentent les piles.
« Dans le nouveau transmetteur, les contacts sont au nombre de trois et fonctionnent parallèlement. C'est donc un tiers du courant principal qui traverse chacun d'eux, et par là l'influence oxydante se trouve de beaucoup diminuée. La pile fonctionne donc douze heures sur vingt - quatre, ce qui est considérable, et ce qui constituait une nouvelle difficulté à vaincre, la plupart des piles ne résistant pas à un travail aussi prolongé, sans nécessiter un entretien minu tieux et fréquent.
Après quelques recherches ce fut à la pile humide au sulfale de cuivre que l'on s'arrêta, et les résultats qu'on put en obtenir furent tout à fait inespérés. Cetle pile, inventée par M. Trouvé, est une forme particulière de celle de Daniell ; mais au lieu de contenir des dissolutions complètement liquides de sulfates de cuivre et de zinc, elle les retient dans les pores de rondelles de papier buvard.
Les transports causés par les électrolyses secondaires se trouvent alors contrariés et il s'ensuit une régularité presque absolue de l'intensité du courant.

M.Gustave Trouvé l'a répandue à un très grand nombre d'exemplaires, en trois ou quatre formats, pour l'horlogerie, les usages médicaux et la télégraphie militaire. Dans ce dernier cas, son application devait faire progresser le télégraphe portatif.
La pile de ce genre, construite spécialement dans ce but, est composée de trois boites superposées (fig.33), dont chacune contient trois éléments.
Ces boites sont faites en caoutchouc durci. Le couvercle auquel sont attachés les trois éléments est en ardoise. Avec ces neuf éléments, on peut faire fonctionner le parleur à plusieurs kilomètres de distance.

Cette pile militaire, on le conçoit facilement, peut être maniée, sans précaution aucune, inclinée sur le côté, ou même mise à l'envers, dans les voitures de transport, sans aucun inconvénient.
On peut l'appliquer également à tous les appareils d'avertissement ou autres qui pour ront fonctionner dans les trains de chemins de fer et, en général, partout où la pile devra être utilisée.

FIG 33 Pile militaire de M. Gustave Trouvé.

A côté de ce premier modèle de pile humide, M. Gustave Trouvé en a construit une autre forme plus simple et dont voici la description.
Ici, chaque couple se compose uniquement d'un tube de verre ( fig.34), rempli de rondelles de papier buvard imprégnées comme nous avons dit, et de deux disques, l'un de cuivre, l'autre de zinc, placés aux deux bouts de la colonne de papier.

Le tube est fermé à chacune de ses extrémités par un bouchon de liège que traverse un fil de cuivre soudé à la rondelle correspondante Les dimensions de ces couples sont variables. Ils peuvent avoir couramment 1 centimètre de diamètre intérieur et 10 centimètres de longueur.
Fabriqués en quantité, ils pourraient revenir à la modique somme de 25 centimes l'un. De cette façon, il serait possible, dans un espace restreint, de superposer un grand nombre de ces couples, pour former une pile de haute tension, très bien isolée, constante, durable, d'un prix très modique et d'une inappréciable valeur pour l'étude et l'étalonnage des appa reils de mesure.
La meilleure manière de la monter consiste à suspendre verticalement les éléments à des cadres horizontaux.
Pour la commodité du transport et de l'usage, M. Gustave Trouvé a eu l'idée de les caser par groupes dans des boîtes maniables.

La figure 35 représente une pile humide de 500 couples ainsi combinée. La caisse a 80 centimètres de longueur sur 20 de largeur.
On sait tout l'intérêt que présentent les batteries de tension pour l'étude de l'électricité à haut potentiel.
Malheureusement le montage d'une pile d'un nombre considérable de couples est si coûteux, l'isolement en est si difficile, que peu de physiciens ont pu jusqu'à présent s'offrir une batterie de plusieurs milliers de volts. On cite cependant M. Gassiot avec ses couples zinc, platine, eau, et M. Warren de la Rue, mort en 1886, avec ses piles montée en colonne, au chlorure d'argent.
La célèbre batterie sesystème de M. Gustave Trouvé de 800 couples, avec laquelle M. Gaston Planté exécuta ses magnifiques expériences, ne peut pas entrer ici en ligne de compte, car elle donne des effets de quantité qui ne pourraient être obtenus avec les piles très résistantes de M. Gustave Trouvé.
Fig 34 Pile humide montée en colonne système de M. Gustave Trouvé.

Mais, grâce aux couples tubulaires, nous pensons avec M.Emile Reynier que les hauts potentiels pourraient être étudiés commo dément et recevoir des applications pratiques. C'est à ce point de vue particulier que la pile humide, dans sa forme la plus simple et la plus économique, est appelée à donner de l'imprévu. Nous ne saurions trop insister sur le dispositif fondamental de la pile humide qui fait que les deux liquides restent séparés beaucoup mieux qu'ils ne le sont par les vases poreux. Avec ce système, l'usure du sulfate de cuivre ne se produit plus guère que par suite du passage du courant. En d'autres termes, dans cette combinaison, il n'y a presque pas de travail intérieur perdu. Or, on sait que cette perte est le plus grand défaut de la pile Daniell. Le disque de cuivre est maintenu au centre par une tige isolée des rondelles de papier et du zinc.
Elle dépasse la table d'ardoise qui surmonte l'élément et qui sert de couvercle au vase de verre ou d'ébonite dans lequel l'élément est à l'abri des courants d'air et de la poussière.Le bord du vase est rodé et l'ardoise bien dressée, de sorte que tout se trouve dans une capacité hermétiquement close et par conséquent à l'abri de l'évaporation.

Fig 35 Pile humide de 500 couples. Système de M. Gustave Trouvé pour l'étalonnage et le contrôle des appareils de mesure.

Ainsi constitué, l'élément peut fonctionner pendant plus d'une année, sans qu'on ait à s'en occuper en aucune façon. Cependant, il va sans dire qu'au bout d'un certain laps de temps, plus ou moins long et variable avec l'activité du travail qu'on demande à la pile, elle finit par s'épuiser. Le sulfate de cuivre se réduit, et le courant, après s'être peu à peu affaibli, devient insensible.
Il faut alors recharger l'élément. C'est une opération facile et qui consiste à tremper dans une solution chauffée et saturée de sulfate de cuivre la partie inférieure de l'élément. On prépare cette solution dans une cuvette de cuivre faite exprès ; elle s'élève jusqu'à un niveau marqué.
Le couvercle de l'élément porte sur le bord de la cuvette, de telle sorte que le papier s'imbibe jusqu'à la hauteur voulue, sans qu'on ait à la chercher.
Quant au sulfate de zinc, il se forme constamment par l'action de la pile ; il n'y a donc jamais, à en remettre. Mais le zinc lui même s'use et, au bout d'un certain temps, devra être remplacé. On profite de ce moment pour renouveler le papier. Le cuivre, au contraire, débarrassé du cuivre pulvérulent déposé par l'action du courant, sert indéfiniment. Tel est l'élément humide, du nom que lui a donné M. Gustave Trouvé.
Cette dénomination est rigoureusement exacte, tandis que le nom de pile sèche, qui a cours dans l'enseignement classique, n'est pas justifié, appliqué aux piles de Zamboni, qui n'agissent réellement que grâce à l'humidité qu'elles absorbent.
L'élément humide de M. Gustave Trouvé possède la même force électromo trice que l'élément Daniell, dont il ne diffère que par la forme.
Sa résistance varie avec le diamètre des rondelles de cuivre et de zinc et avec l'épaisseur de la pile de papier intermédiaire. Pour un diamètre donné des disques métalliques, on ne pourrait pas diminuer par trop la quantité de papier sans faire perdre à la pile les qualités de durée qui font l'un de ses principaux mérites. Par contre, à mesure que l'épaisseur du papier est augmentée, la durée possible du service actif est accrue, en même temps que la résistance. La pile humide de M. Gustave Trouvé présente tous les avantages connus de la pile Daniell, notamment la dépolarisation complète de l'électrode, et par suite une grande constance. Mais on peut même ajouter que, sous cette forme, la constance prend un caractère inaccoutumé. En effet, avec la forme ordinaire, on remarque que la force électromotrice est absolument invariable, tandis que la résistance intérieure oscille d'une manière conti nuelle, surtout quand le courant est interrompu et rétabli. Chaque fois qu'on mesure à nouveau la résistance intérieure d'une pile de Daniell, on trouve une valeur différente, et cependant ces valeurs changeantes conduisent à une valeur unique de la force électro motrice. Ce phénomène s'explique par les variations perpétuelles de la composition du liquide. On a fait à ce sujet l'expérience suivante.
On laisse le soir une pile fermée sur un galvanometre approprié, en notant au préalable 89 la déviation de l'aiguille. Le lendemain matin, on retrouve la même déviation.
De cette observation on est amené à conclure que, pendant douze heures de circuit fermé, la force électromotrice et la résistance intérieure de la pile n'ont pas varié. Si, alors, on ouvre le circuit, ne fût-ce qu'une seconde, et qu'on le referme aussitôt, on trouve une nouvelle déviation ; et si l'on prend les mesures, on constate que la résistance intérieure a changé et a seule changé. Quelle que soit la cause de ces variations subites, il faut admettre qu'elles s'opposent à une constance absolue du courant que peut fournir la pile.

Fig 36 et 37 Batterie universelle automatique de M. Gustave Trouve, représentée en fonction et au repos.

Dans la forme donnée par M. Gustave Trouvé, la pile ne présente pas, du moins au même degré, les variations de résis tance, et surtout ces variations ne sont pas aussi subites. Mais le principal avantage de la disposition nouvelle, c'est la suppression du travail intérieur de la pile quand le circuit est ouvert. On peut dire, en résumé, d'une pile de Daniell, qui ne fournit pas de courant, qu'elle est un cheval à l'écurie, c'est-à-dire qu'elle con somme sans produire. C'est là son inconvénient principal.
Il n'existe plus dans la pile humide, parce que les liquides ne peuvent s'y mêler que très difficilement. Nous ajouterons que c'est la seule disposition connue qui permette de donner à la pile une résistance intérieure quelconque, mais voulue.

Un des côtés très intéressants de l'esprit inventif de M. Gustave Trouvé consiste dans la recherche de la simplification appliquée aux appareils pour aider à leur transport et à rendre leur maniement plus facile. C'est ainsi qu'il a donné une forme peu encombrante au générateur d'électricité destiné aux expé riences de laboratoire.
La batterie universelle automatique qu'il a créée, dans ce but, et que les figures 28 et 29 présentent en fonction et au repos, pèse à peine 3 kilogrammes. Elle est peu encombrante, et malgré son poids relative ment faible, elle permet d'opérer avec une grande sûreté et de mettre en jeu les appa reils destinés à l'étude des ferments et à la micrographie. M. Gustave Trouvé ne s'en est pas tenu là. Pour animer ses bijoux, il lui fallait rendre l'électricité portative et toute individuelle, en mettre la source même dans la poche de chaque personne. Il y est parvenu par l'inven tion de sa pile à renversement, à laquelle il a donné diverses formes réduites et qu'on nomme, selon les cas, pile - étui ou pile de gousset (fig.38).

Fig.38. Pile hermétique à renversement de M. Gustave Trouvé

Cette pile est formée d'un couple zinc et charbon ou d'un couple zinc et platine. Le charbon, dans le premier cas, le zinc dans le second, est fixé au couvercle de l'étui.
Le liquide, composé d'une solution saturée de sulfate acide de mercure, remplit la moitié inférieure du fond. Tant que l'étui conserve sa position ordinaire, le sommet entique à ment, de M. Gustave haut, le fond en bas, l'élément ne plonge pas Trouvé ( grandeur dans le liquide ; il n'y a ni dégagement d'élec d'exécution ). tricité, ni usure du zinc, ni dépense par consé quent. Mais dès que l'étui est renversé, ou placé horizontalement, le courant nait et se continue tant que le zinc n'est pas usé et que le sulfate de mercure n'est pas épuisé.
C'est le courant fourni par un ou plusieurs éléments de cette pile minuscule, cachés dans un gousset de gilet ou le pli d'une robe, que M. Gustave Trouvé fait circuler tour à tour dans une foule de petits appareils ou bijoux pour les animer et leur faire causer d'agréables surprises. La pile de poche est un peu plus forte que la pile de gousset.
Les piles 39 et 40 sont en tout semblables, elles ne diffèrent que par le volume et le nombre des éléments.

La pile 39 est composée de deux couples et la pile 40 de trois couples de charbon et zinc, ou d'un plus grand nombre, suivant les foyers lumineux à obtenir, plongeant dans la solution sursaturée au bichromate de potasse modifiée.
Comme nous venons de le dire, les deux piles ne different entre elles que par le nombre de couples, et la description suivante s'applique aux deux : une auge en ébonite à trois compartiments contient la solution qui la remplit aux deux tiers.
Le couvercle B qui porte les éléments D, D, est en caoutchouc durci ou ébonite. Il constitue, avec une feuille de caoutchouc souple C, une fermeture étanche à la manière des soupapes de sûreté des machines à vapeur, pressé qu'il est sur les auges par les deux bracelets E, E ' en caoutchouc très élastique.
Pour plus de sécurité, le tout est introduit dans une enveloppe simple ou double F, G, en caoutchouc durci, mince et léger, dans laquelle ou dans lesquelles se produi raient de légers suintements, si parfois la pile était soumise à unedanse trop désordonnée.
Comme on le voit, la sécurité est com plète, sous ce rapport surtout.


FIG. 39. — Pile de poche de M. Gustave Trouvé de deux éléments.
FIG. 40. Vue intérieure de la pile de poche de M. Gustave Trouvé de trois éléments.

Les deux boutons H, H ' reçoivent les fils conducteurs qui se rendent aux bijoux ou aux objets qu'il faut illuminer. Un petit commutateur placé tantôt sur le couvercle de la pile, tantôt sur le trajet des cordons, permet d'éclairer à volonté les bijoux dont on est muni.
En A est représenté le corps d'ensemble de la pile constituant les auges. La durée de l'éclairage varie naturellement suivant le vo lume de la pile et proportionnellement à sa capacité, c'est- à dire de trente - cinq à quarante minutes pour la pile de poche donnée de grandeur naturelle (fig.39), et de une heure environ pour le modèle plus volumineux, et qui peut se loger encore facilement dans la poche de derrière d'un paletot ou dans celle d'un pardessus.

FIG 41 Pile au cuivre de Callaud, modifiée par M. Gustave Trouvé.

Lorsque les effets à obtenir sont de courte durée, comme au théâtre, les piles de M. Gustave Trouvé peuvent alimenter jusqu'à huit foyers. M. Gustave Trouvé en a mis jusqu'à vingt- quatre sur la même personne, qui produisaient des effets éblouissants.
On peut s'amuser plusieurs heures, en n'usant pas la pile d'un seul trait ; d'autant plus qu'il est facile de s'échapper un instant pour renouveler le liquide de la pile, qui reprend alors toute son action.
Les petits accumulateurs de M. Gustave Trouvé permettent bien l'éclairement de ses bijoux, mais ils ne présentent pas les mêmes avantages que les piles ci- dessus, c'est-à - dire de pouvoir se rechanger sur place. Quand l'énergie electrique emmagasinée est épuisée, c'est fini. A capacité égale, ils sont du reste plus lourds. M. Gustave Trouvé a porté encore son esprit inventif sur la pile de Callaud, dans un but humanitaire. La disposition qu'il a imaginée pour les besoins de l'électrothérapie lui a permis de constituer un appareil, le plus simple et le plus économique qu'il soit possible d'imaginer. En voici la description. Au fond du vase de verre plonge un fil de cuivre tourné en spirale plusieurs fois et émergeant du liquide par son bout droit que l'on isole en le faisant passer dans un tube également en verre (fig. 41 ). De cette manière la spirale sert seule de lame positive.
Le zinc est circulaire et maintenu par des rabattements de métal à la partie supérieure du vase, dans lequel il ne s'enfonce que de quelques centimètres. Des cristaux de sulfate de cuivre sont déposés dans le fond au préalable et l'on remplit d'eau. Au bout d'un certain temps de fonctionnement, le liquide à la partie inférieure est saturé de sel de cuivre, tandis que la partie supé rieure est saturée de sulfate de zinc.
Au point de vue théorique, la différence de densité des deux solutions semble suffisante pour empêcher leur mélange.
Il n'en est cependant pas tout à fait ainsi dans la pratique, et il faut éviter avec soin toute manæuvre pouvant amener le mélange des deux solutions.
Par conséquent, ces éléments ne peuvent constituer que des appareils absolument à demeure.
Ces petits inconvénients sont largement rachetés par la constance du courant, la modicité du prix et la simplicité de la construction.
Un système très rudimentaire et très solide de contacts permet d'accoupler rapidement et économiquement les éléments. Un fil de cuivre coudé deux fois à angle droit est soudé au zinc et tourné en ressort à boudin par son extrémité libre. On engage dans le ressort à frottement dur le bout du fil de cuivre positif de la pile suivante et tous les éléments peu vent être ainsi accouplés en tension. Réunis dans une boite appropriée, ils forment une batterie très économique utilisée en électricité médicale...

L’ÉLECTRICITÉ AU SERVICE DE LA MÉDECINE
Dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, les physiciens qui étudiaient les phénomènes électriques avaient eu l’idée d’appliquer leurs connaissances
à la médecine. Tout naturellement, Trouvé s’intéressa lui aussi à ce domaine. Il fabriqua des appareils d’électrothérapie de différentes tailles. L’un de ses modèles était portatif, alimenté par une pile compacte, le tout rangé dans une mallette. Par ailleurs, afin que les médecins puissent utiliser le plus efficacement possible ses nombreuses inventions dans le domaine médical,
Trouvé rédigea un Manuel d’électrologie médicale publié en 1893.
Trouvé mit au point une électro-fraise à l’usage des dentistes ainsi que plusieurs modèles de lampes frontales (fig. 16) en collaboration avec
le docteur Hélot.
Trouvé fabriqua également du matériel à l’usage des chirurgiens comme une scie électrique. Par ailleurs, il remplaça l’ivoire – facilement dégradée
par échauffement – par une résine dans les appareils de cautérisation à anse de platine. Il construisit des polyscopes, appareils permettant d’explorer les cavités du corps : un filament de platine chauffé ou plus tard une ampoule de petite taille était introduit dans la cavité et en éclairait l’intérieur.
Afin de prévenir tout échauffement des tissus, le fil (puis la lampe) était relié à un rhéostat qui permettait de moduler la luminosité. Trouvé poursuivit ses travaux dans ce domaine d’exploration médicale : en effet, avant que la radiographie ne soit utilisée par les chirurgiens, Trouvé fabriqua un explorateur-extracteur. Cet appareil permettait de localiser un projectile métallique et de l’extraire. Une sonde constituée de deux pointes isolées était reliée à un trembleur. La sonde était infiltrée dans la plaie ; dès qu’elle touchait un objet métallique, le circuit électrique était fermé et le trembleur se déclenchait. Si elle touchait un os, rien ne se produisait. Cet instrument fit partie des trousses chirurgicales réglementaires des régiments et des équipages de la Marine.
Trouvé poussa son intérêt de l’exploration physiologique à la géologie.
S’inspirant du polyscope, il adjoignit une lunette et une lampe à un périscope, ce qui permettait d’observer in situ les couches géologiques traversées par un forage,
,..

ET L’ÉLECTRICITÉ ILLUMINA LES SPECTACLES
Trouvé élargit son champ de créativité à des applications artistiques. Il fabriqua des bijoux électriques comme un oiseau qui battait des ailes quand on retournait la pile à renversement miniature qui l’alimentait, ou encore un lapin qui tapait sur une cloche. Il proposa des costumes de danseuses parés de pierreries électriques. Pour animer une représentation de Faust, il eut l’idée de faire jaillir des étincelles chaque fois que les épées se croisaient et de faire s’illuminer les armures dès qu’elles étaient touchées. On utilisa ses inventions dans des spectacles à Paris, mais aussi à Londres, Berlin ou Valparaiso.
Trouvé aimait le spectaculaire. Il fabriqua également des fontaines lumineuses automatiques à feux multicolores changeants. Après la réalisation de modèles de salon puis d’un modèle monumental réalisé au château de Craygynos, il proposa même de construire un modèle de 250 m de haut, pouvant prendre appui sur la Tour Eiffel pour l’exposition de 1900. Mais ce projet, trop ambitieux, ne fut pas retenu. Et ce furent des réalisations plus modestes comme sa lampe électrique universelle de sûreté, portative et automatique, qui eurent le plus de succès. Cette dernière fut utilisée par les allumeurs de réverbères, par la compagnie du gaz, par les pompiers de Paris et par ceux de New York. C’est l’ancêtre de notre lampe de poche. Spécialiste reconnu de l’éclairage, on fit régulièrement appel à lui. Ainsi conçut-il un système d’éclairage unique qui permit de photographier au mieux les bijoux de la couronne française. En effet, l’État avait besoin de liquidités et était contraint de vendre18 de ces bijoux en 1887. Il fabriqua également un système d’éclairage sous-marin utilisé lorsque le Canal de Suez fut percé (1859-1869).
En outre, Trouvé innova pour faciliter l’enseignement des sciences expérimentales. Par exemple, il fabriqua une génératrice de démonstration et un ensemble d’accessoires, le tout spécialement adapté pour les expériences d’électricité. Il conçut des appareils de projection adaptés aux corps opaques.
Enfin, répondant à la demande de scientifiques, il proposa des éclairages électriques de laboratoire pour observer les corps en suspension et pour faire des dissections par transparence.

CHIMIE, MÉCANIQUE ET PROPRIÉTÉS DES GAZ
La chimie ne lui était pas non plus étrangère et il perfectionna les systèmes d’éclairage à acétylène. Mais ce fut Blériot qui tira profit de cette invention en fabriquant et en commercialisant des lanternes pour automobiles et motocyclettes.
Tout l’intéressait et abandonnant momentanément l’électricité, il s’adonna à la mécanique qu’il maîtrisait grâce à sa formation d’horloger. Il mit notamment au point un procédé de fabrication d’hélices. Auparavant délicate et réservée à des personnes très expérimentées, cette fabrication devint alors accessible à une main-d’œuvre moins qualifiée.
Enfin une dernière preuve de son imagination débordante. Après la catastrophe du ballon Le Zénith lors de laquelle deux des trois passagers trouvèrent la mort à 7000 m d’altitude, Trouvé imagina très précisément un scaphandre à oxygène équipé de soupapes et de manomètres, spécialement adapté à l’exploration aérienne. Sa proposition ne fut pas testée et il fallut encore quelques décennies pour qu’un système respiratoire soit réellement fabriqué pour l’aviation.

Sommaire

Lors de ses recherches, Trouvé collabora avec des confrères ou des médecins.
On peut citer le docteur Hélot pour la réalisation de la lampe frontale – ou photophore –, Foucault pour le gyroscope électrique, Caillaud pour un modèle d’alimentation d’appareils d’électrothérapie, Dunand avec qui il améliora le microphone, et les frères Tissandier pour l’aérostat électrique.
Sa méthode de travail était empirique mais résolument scientifique ; Trouvé ne fut certainement pas un inventeur-bricoleur. En effet, face à un problème technique, il recherchait de nouveaux procédés basés sur ses connaissances d’ingénieur et étudiait précisément les caractéristiques de ses instruments. Il sut justifier ses choix aussi bien par des mesures que par des calculs.
Il s’attachait résolument au côté pratique de ses inventions ou de ses améliorations : l’une de ses demandes de brevets en fait d’ailleurs mention puisqu’il y est précisé « un moteur et ses applications ».

Cet article ne peut éviter l’écueil de présenter une longue énumération, cependant il est important de montrer la diversité et la grande richesse de travaux de Gustave Trouvé. Les inventions ne sont pas classées par ordre chronologique mais selon leurs différents domaines.

Les phénomènes électriques avaient été largement observés depuis le XVIIIe siècle, et les études théoriques de l’électricité étaient en cours d’élaboration. Trouvé put exploiter pleinement sa créativité et son savoir-faire dans le domaine des applications pratiques de l’électricité alors en développement.
Les inventions de Trouvé ne furent pas toutes à destinée pacifique. En effet, il lui arriva de concevoir un fusil dont la mise à feu de la cartouche était provoquée par un fil porté instantanément à incandescence lorsque la gâchette fermait le circuit électrique.
Sans générateurs ni moteurs, l’électricité n’aurait pas pu passer du statut de curiosité à celui d’application pratique pour la vie courante. Trouvé s’intéressa à la question en permettant des avancées dans le domaine des moteurs à courant continu et des piles.
Trouvé conçut plusieurs types de moteurs, suivant ses besoins. Par exemple, pour équiper une maquette de dirigeable, il fabriqua un moteur miniature très léger avec des bobines en aluminium. Les procédés de fabrication des aimants étant mieux appréhendés, Trouvé eut l’occasion d’effectuer des tests sur le choix des aciers, ou la technique de trempe.
Tout ceci lui permit en 1880,d’améliorer un moteur à bobine Siemens dont le rendement était faible étant donné l’annulation de la répulsion entre l’aimant et la bobine pendant une partie de la rotation. Pour ce faire, il façonna les faces polaires de la bobine en « limaçon ». En outre, il remplaça les aimants par un électroaimant en fer à cheval. Ainsi le rendement de ce moteur était-il nettement supérieur au moteur Siemens initial.
Un moteur de ce type fait partie de la collection du lycée Sophie Germain de Paris 4.
Il est d’ailleurs urgent de prendre conscience qu’il faut classer, conserver, valoriser les collections des établissements scolaires qui possèdent un patrimoine scientifique important.
Trouvé se spécialisa dans les petits moteurs sur-mesure en ajoutant par exemple un moteur électrique au gyroscope de Foucault, en réalisant un moteur pour un jouet monté sur un socle en ivoire, ou encore en motorisant des machines à coudre. Ses travaux ne se limitèrent pas à la mise au point de nouveaux modèles. En effet, il étudia scientifiquement les rendements des moteurs, construisant même plusieurs modèles de «dynamomètres » pour en mesurer les caractéristiques.

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En 1880, avec le moteur Siemens amélioré, qu'il alimente avec un accumulateur récemment développé par Starley il le monte sur un tricycle anglais de marque Coventry, inventant ainsi le premier véhicule électrique au monde. Bien qu'il l'ait été testé avec succès le 19 avril 1881 dans la rue de Valois dans le centre de Paris, Gustave Trouvé n'arrive pas à le faire breveter. Il adapte donc rapidement son moteur à accumulateurs à la propulsion maritime.
Pour faciliter le transport du système de propulsion maritime entre son atelier et la Seine, Gustave Trouvé le rend portatif et amovible, inventant ainsi le moteur de hors-bord.
Le 26 mai 1881, le prototype de 5 m de long construit par Trouvé et baptisé « Le Téléphone » atteint une vitesse de 1 m/s (3,6 km/h) vers l'amont et 2,5 m/s (9 km/h) vers l'aval.
Gustave Trouvé expose son bateau (mais pas son tricycle) et ses instruments électro-médicaux à l'Exposition internationale d'Électricité de Paris et reçoit peu de temps après la Légion d'honneur.

Trouvé s’intéressa également à la production d’électricité. Il perfectionna régulièrement les modèles de piles en fonction des appareils à alimenter. Ainsi proposait-il un large éventail de générateurs opérationnels. Il modifia la pile au bichromate inventée par Johann Christian Poggendorff en 1842, en créant un modèle dit « pile à treuil ». L’intensité délivrée par ce générateur était modulée en plongeant plus ou moins les électrodes de zinc dans l’électrolyte. Les études que mena Trouvé sur les performances de ces piles, montrèrent qu’elles pouvaient délivrer jusqu’à 8 A pendant quatre heures.
Quant à la pile compacte, comme son nom l’indique, elle fournissait un maximum d’énergie pour une compacité maximale ; elle servit à alimenter les appareils d’électrothérapie que Trouvé commercialisait.
La pile à renversement ne fonctionnait que lorsqu’on la retournait. La solution de sulfate de mercure située ici dans le bas du récipient, entrait alors au contact des électrodes de carbone et de zinc. Elle était utilisée pour alimenter les détecteurs de métaux en médecine ou pour alimenter des bijoux lumineux.
Le dernier exemple présenté est celui de la pile humide basée sur le principe de la pile Daniell. Pour éviter les fuites fréquentes de la pile liquide, Trouvé intercala des disques de papier buvard imbibés d’électrolyte entre deux disques de cuivre et de zinc. Il exposa son modèle lors de l’Exposition universelle de 1878, ce qui attira l’attention du jury de l’Exposition.
Dix ans plus tard, Carl Gassner poursuivit dans cette voie et gélifia l’électrolyte grâce à de l’agaragar ; la première pile sèche était née.
Trouvé ne se limita pas aux moteurs ni aux piles. Il fabriqua bien d’autres appareils électriques comme des appareils de mesure – notamment des galvanomètres – et des compteurs.
En 1887, Trouvé, qui fabrique sous sa propre marque Eureka (en grec = j'ai trouvé), met au point son auxanoscope, un projecteur électrique de diapositives destiné à être utilisé par des enseignants itinérants (1887).

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Les nouveaux moyens de transport inventés par Trouvé suscitèrent beaucoup de critiques positives en son temps.
La collaboration Trouvé-frères Tissandier, célèbres aérostiers, se révéla fructueuse. En effet, ils construisirent une maquette de dirigeable dont l’enveloppe, longue de 3,50 m, était gonflée au dihydrogène. Cette maquette était propulsée par un moteur miniature de 220 g alimenté par un accumulateur Planté de 1,3 kg. L’hélice tournait à la vitesse de 6,5 tours à la seconde et pouvait propulser le dirigeable à la vitesse de 7 km/h. Son autonomie atteignait 40 minutes. Cette maquette fut présentée lors de l’Exposition internationale d’électricité de 1881.
Deux autres modèles méritent notre attention : tout d’abord, l’Aviateur, une maquette à ailes battantes actionnée par un dispositif à air comprimé construite en 1870 ; puis un autre modèle lui aussi à ailes battantes propulsée par une série de cartouches construit 21 ans plus tard.
Trouvé était proche de Gustave Ponton d’Amécourt qui réalisa en 1863 la première maquette d’hélicoptère à vapeur. Trouvé montra qu’un moteur relié par des fils à une pile restée au sol, pouvait entrainer une hélice, et s’élever. Le concept d’hélicoptère électrique était né.
Après l’échec du canot électrique de Jacobi1 sur la Néva en 1838, Trouvé étudia le problème dans son ensemble. Il conçut une embarcation complète, pour laquelle il mit au point un moteur, une pile et un système de gouvernail. Par ailleurs, il remplaça la roue à aubes de Jacobi par une hélice beaucoup plus performante. Il utilisa deux piles à treuil contenant 1,2 kg de bichromate de potassium et 8 L d’acide sulfurique, pour une masse totale de 24 kg. Ces piles permettaient de modifier la vitesse du canot.
Le compte-rendu de visite de La Société des Ingénieurs Civils précisait : « Le canot peut contenir 3 voyageurs dont on peut estimer le poids à 240 kg. Soit un poids total de 350 kg. Dans ces conditions, les expériences faites sur la Seine les 26, 27 et 28 mai en présence d’un grand nombre de notabilités scientifiques, ont montré que la vitesse a été de 1 m 50 par seconde à la remonte et de 2 m 50 à la descente. La disposition générale du bateau est la suivante : les piles sont au milieu, le moteur à l’arrière sur le gouvernail lui même ; il est relié à l’hélice par une chaîne de Vaucanson. » Le moteur de type Siemens modifié était fixé sur le gouvernail. Le bateau hors-bord était inventé.
Afin de mettre en valeur cette invention si originale, le canot électrique de Trouvé fut présenté dans un bassin de 18 m de diamètre entourant la maquette du phare électrique, juste à l’entrée de l’Exposition internationale d’électricité de 1881.
Toujours en 1881, son tricycle électrique étonna. En fait, Trouvé motorisa un tricycle anglais dissymétrique de marque Coventry, probablement le modèle Rotary. Les essais concluants furent rapportés dans le Journal universel d’électricité publié en 1881 : « Un moteur de 5 kg alimenté par 6 piles secondaires de Planté, placé le 8 avril dernier sur un tricycle dont le poids y compris le cavalier et “ les piles ” était de 160 kg, l’entraîna à une vitesse de 12 km/h ».

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Dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, les physiciens qui étudiaient les phénomènes électriques avaient eu l’idée d’appliquer leurs connaissances à la médecine. Tout naturellement, Trouvé s’intéressa lui aussi à ce domaine.
Il fabriqua des appareils d’électrothérapie de différentes tailles. L’un de ses modèles était portatif, alimenté par une pile compacte, le tout rangé
dans une mallette. Par ailleurs, afin que les médecins puissent utiliser le plus efficacement possible ses nombreuses inventions dans le domaine médical, Trouvé rédigea un Manuel d’électrologie médicale publié en 1893.
Trouvé mit au point une électro-fraise à l’usage des dentistes ainsi que plusieurs modèles de lampes frontales en collaboration avec le docteur Hélot.
Trouvé fabriqua également du matériel à l’usage des chirurgiens comme une scie électrique. Par ailleurs, il remplaça l’ivoire – facilement dégradée
par échauffement – par une résine dans les appareils de cautérisation à anse de platine.
Il construisit des polyscopes, appareils permettant d’explorer les cavités du corps : un filament de platine chauffé ou plus tard une ampoule de petite taille était introduit dans la cavité et en éclairait l’intérieur.
Afin de prévenir tout échauffement des tissus, le fil (puis la lampe) était relié à un rhéostat qui permettait de moduler la luminosité. Trouvé poursuivit ses travaux dans ce domaine d’exploration médicale : en effet, avant que la radiographie ne soit utilisée par les chirurgiens,
Trouvé fabriqua un explorateur extracteur. Cet appareil permettait de localiser un projectile métallique et de l’extraire. Une sonde constituée de deux pointes isolées était reliée à un trembleur. La sonde était infiltrée dans la plaie ; dès qu’elle touchait un objet métallique, le circuit électrique était fermé et le trembleur se déclenchait. Si elle touchait un os, rien ne se produisait. Cet instrument fit partie des trousses chirurgicales réglementaires des régiments et des équipages de la Marine.
Trouvé poussa son intérêt de l’exploration physiologique à la géologie.
S’inspirant du polyscope, il adjoignit une lunette et une lampe à un périscope, ce qui permettait d’observer in situ les couches géologiques traversées par un forage.

Trouvé élargit son champ de créativité à des applications artistiques.
Il fabriqua des bijoux électriques comme un oiseau qui battait des ailes quand on retournait la pile à renversement miniature qui l’alimentait, ou encore un lapin qui tapait sur une cloche. Il proposa des costumes de danseuses parés de pierreries électriques. Pour animer une représentation de Faust, il eut l’idée de faire jaillir des étincelles chaque fois que les épées se croisaient et de faire s’illuminer les armures dès qu’elles étaient touchées. On utilisa ses inventions dans des spectacles à Paris, mais aussi à Londres, Berlin ou Valparaiso.
Trouvé aimait le spectaculaire. Il fabriqua également des fontaines lumineuses automatiques à feux multicolores changeants. Après la réalisation de modèles de salon puis d’un modèle monumental réalisé au château de Craygynos, il proposa même de construire un modèle de 250 m de haut, pouvant prendre appui sur la Tour Eiffel pour l’exposition de 1900. Mais ce projet, trop ambitieux, ne fut pas retenu. Et ce furent des réalisations plus modestes comme sa lampe électrique universelle de sûreté, portative et automatique, qui eurent le plus de succès. Cette dernière fut utilisée par les allumeurs de réverbères,par la compagnie du gaz, par les pompiers de Paris et par ceux de New York. C’est l’ancêtre de notre lampe de poche. Spécialiste reconnu del’éclairage, on fit régulièrement appel à lui. Ainsi conçut-il un système d’éclairage unique qui permit de photographier au mieux les bijoux de la couronne française. En effet, l’État avait besoin de liquidités et était contraint de vendre ces bijoux en 1887. Il fabriqua également un système d’éclairage sous-marin utilisé lorsque le Canal de Suez fut percé (1859-1869).
En outre, Trouvé innova pour faciliter l’enseignement des sciences expérimentales. Par exemple, il fabriqua une génératrice de démonstration et un ensemble d’accessoires, le tout spécialement adapté pour les expériences d’électricité. Il conçut des appareils de projection adaptés aux corps opaques.
Enfin, répondant à la demande de scientifiques, il proposa des éclairages électriques de laboratoire pour observer les corps en suspension et pour faire des dissections par transparence.

Sommaire

La chimie ne lui était pas non plus étrangère et il perfectionna les systèmes d’éclairage à acétylène. Mais ce fut Blériot qui tira profit de cette invention en fabriquant et en commercialisant des lanternes pour automobiles et motocyclettes.
Tout l’intéressait et abandonnant momentanément l’électricité, il s’adonna à la mécanique qu’il maîtrisait grâce à sa formation d’horloger. Il mit notamment au point un procédé de fabrication d’hélices. Auparavant délicate et réservée à des personnes très expérimentées, cette fabrication
devint alors accessible à une main-d’œuvre moins qualifiée.
Enfin une dernière preuve de son imagination débordante. Après la catastrophe du ballon Le Zénith lors de laquelle deux des trois passagers trouvèrent la mort à 7000 m d’altitude, Trouvé imagina très précisément un scaphandre à oxygène équipé de soupapes et de manomètres, spécialement adapté à l’exploration aérienne. Sa proposition ne fut pas testée et il fallut encore quelques décennies pour qu’un système respiratoire soit réellement fabriqué pour l’aviation.

En 1902, Gustave Trouvé travaille sur sa dernière innovation, un petit appareil portable qui utilise la lumière ultra-violette pour traiter les maladies de la peau, le prototype de la PUVA-thérapie, lorsqu'il se coupe accidentellement le pouce et l'index. Négligeant sa plaie, une septicémie se déclare qui nécessite des amputations à l'hôpital Saint-Louis de Paris.
L'inventeur meurt le 27 juillet 1902 à l'hôpital Saint-Louis dans le 10e arrondissement de Paris, âgé de 63 ans.
Un notaire est chargé de liquider son atelier et ses biens personnels. Gustave Trouvé n'ayant pas d'héritier déclaré ni personne capable d’entretenir, la carrière de cet inventeur sombre totalement dans l’oubli.
Lorsque la concession de sa tombe dans le cimetière de sa ville natale de La Haye-Descartes arrive à échéance, les restes de Gustave Trouvé sont jetés dans la fosse commune.

Trouvé jouissait d’une grande renommée auprès de ses confrères ainsi que du grand public.
En effet, il avait reçu de nombreuses récompenses et distinctions de la part de sociétés savantes. Les jurys d’exposition (universelle, internationale d’électricité) ne manquèrent jamais de mettre en avant ses découvertes. Par ailleurs, Trouvé avait été nommé chevalier de la Légion d’honneur en 1881. Les applications de l’électricité qu’il avait mises au point lui avaient valu la reconnaissance appuyée de ses pairs.
De nombreux articles de journaux et de revues scientifiques décrivaient ses inventions originales. Cette collaboration avec les journalistes lui offrit d’ailleurs un moyen publicitaire favorable à la modeste commercialisation de ses trouvailles.
Sa notoriété et son inventivité tout azimut expliquent pourquoi Georges Barral le choisit comme inventeur-modèle pour illustrer le nouvel esprit scientifique associé à l’Exposition universelle de 1889. Georges Barral proposa Gustave Trouvé parce que ce dernier savait fort bien appliquer recherches et théories aux besoins du quotidien. Plus tard, L’Histoire de l’électricité de 1881 à 1918 consacra trois de ses cent gravures aux inventions de Trouvé ; y étaient représen tés la lampe frontale, le moteur Siemens modifié et le canot électrique.
Cependant des critiques ne manquèrent pas. Par exemple, un article du Journal universel d’électricité, publié juste après la modification apportée au moteur Siemens, précisait qu’« Il est regrettable de voir certaines personnes lancer à chaque instant l’immortel eurêka d’Archimède pour avoir changé une vis ou apporté une modification plus ou moins excentrique aux inventions d un contemporain. »
En 2001, Georges Ribeill compara les inventions de Trouvé à « un grand bazar électrique qui rassemblait beaucoup d’objets fonctionnellement voués à des destins variables » et il ajouta même que « le bazar électrique de Trouvé tient du magasin magique d’accessoires et décors électriques, une sorte de caverne d’Ali-Baba où, du futile au sérieux, il a accumulé en somme les trouvailles dont il voulait saturer notre civilisation ».
Laissons de côté les propos polémiques et revenons sur les destins variables de ses inventions, car en cela M. Ribeill a raison. Autant certaines de ses inventions (lampe de poche, projecteur d’images) font partie de notre quotidien, autant d’autres n’ont pas connu le succès escompté. On peut citer son tricycle électrique, précurseur de la voiture électrique qui aujourd’hui encore n’en est qu’au début de sa carrière commerciale, le dirigeable électrique qui reste une curiosité et les bateaux électriques qui, malgré leur développement, ne représentent encore qu’une faible part du marché. Les rayons X ont avantageusement remplacé l’explorateur-extracteur. L’électrothérapie médicale reste limitée. Ses travaux précurseurs de l’endoscopie ont été spoliés et son nom volontairement oublié par ses successeurs.
Ainsi, comme bien des inventeurs, Trouvé plongea dans l’anonymat et aujourd’hui peu de gens connaissent l’importance de ses découvertes.
Il faut être conscient que le cas de Trouvé est bien loin d’être isolé. En effet, combien d’inventeurs géniaux, renommés à leur époque ne sont pas passés à la postérité ? Car, pour rester dans la mémoire collective, il ne suffit pas d’être exceptionnellement doué, il faut également faire la publicité de ses découvertes.

Le 19 Avril 1881, Gustave Trouvé fait circuler à Paris, rue de Valois un tricycle doté de batteries et d'un moteur électrique.

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